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pour l’empereur Léopold Ier Accueilli avec bienveillance par l’empereur, qui était un grand mélomane, Astorga resta à Vienne jusqu’à la mort de son nouveau protecteur (1705). Il se mit alors à voyager, retourna en Espagne, visita le Portugal, l’Italie et l’Angleterre, reparut à la cour de Vienne en 1720, et après de nouvelles vicissitudes se retira dans un couvent de la Bohême, où il mourut en 1736, l’année même où expirait Pergolèse. Dans l’œuvre d’Astorga, peu considérable, si on la compare à celle des compositeurs célèbres de son temps, on remarque un Stabat Mater à quatre voix avec accompagnement d’instrumens et de délicieuses cantates, remplies d’une douce mélancolie qui semble avoir été la disposition habituelle de son aimable génie[1]. Le chevalier fit chanter à Frédérique plusieurs des plus belles cantates d’Astorga, entre autres une en mi bémol, — palpitar gia sento il core, — du plus beau caractère, accompagnée d’une simple basse chiffrée, et modulée avec infiniment d’art, comme presque toute la musique italienne du commencement du XVIIIe siècle. Cette mélodie touchante exprime la douce tristesse d’une âme que l’amour a visitée. La seconde phrase est surtout ravissante, et Frédérique, imitant avec bonheur l’accent et le style du chevalier, la disait avec une émotion contenue qui arrachait à tous deux des larmes de bonheur.

— Sentez-vous, mademoiselle, s’écriait alors Lorenzo avec un enthousiasme attendri, quelle est la puissance d’un sentiment vrai exprimé par les moyens les plus simples que l’art puisse employer ? Il n’est pas besoin de grandes machines, de spectacles compliqués ni de nombreux agens pour toucher le cœur humain. Un chant de quelques mesures, soutenu de deux ou trois accords, suffit pour communiquer à l’âme la plus grande félicité qu’elle puisse éprouver sur la terre, celle d’aimer, d’admirer et de compatir. Une humble pensée, un soupir, le plus léger mouvement de la passion, valent mieux, devant Dieu et devant les hommes, que des œuvres fastueuses qui manquent de goût et de sincérité. L’infini de l’esprit et la béatitude du sentiment peuvent être exprimés dans une page, en quelques mots, sur une pierre de quelques lignes d’épaisseur. Qui donc ne préférerait une mélodie de Schubert, comme la Sérénade ou le Roi des Aulnes, à des opéras, à des symphonies comme il y en a tant ? C’est par le caractère de l’expression qu’elles produisent sur nous, par l’idéal qu’elles éveillent dans notre infime nature, que se classent les œuvres de l’art, et non par le plus ou moins d’efforts qu’elles auront coûtés à celui qui les a produites.

  1. Lablache, qui est resté plusieurs années à Palerme, m’a souvent avoué que l’une des vives sensations musicales qu’il eût éprouvées dans sa vie, il la dut au Stabat Mater d’Astorga, qu’on exécutait tous les ans dans une vieille église de la capitale de la Sicile.