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sur l’esprit de la grande révolution de 1789, dont aucun gouvernement, dit-il en répondant à d’aigres contradictions de M. de Loewenfeld, ne parviendrait à empêcher le développement. La contenance de Frédérique pendant cette brillante discussion où Lorenzo eut tous les honneurs de la guerre fut curieuse et très naïvement embarrassée. Assise à côté de Wilhelm et presque en face du chevalier, elle prêta toute son attention aux paroles de Sarti, dont elle interrogeait le regard. Fascinée par la supériorité d’un esprit dont l’influence bienfaisante purifiait ses instincts et l’arrachait momentanément aux mobiles inférieurs de sa nature, Frédérique paraissait à peine s’apercevoir de la présence de Wilhelm, qui ne cessait pourtant de lui parler tout bas. Ainsi était faite cette étrange et mystérieuse créature, que le chevalier put se croire vainqueur de son rival, et avoir reconquis sur le cœur et l’imagination de Frédérique la haute influence qu’il exerçait avant l’arrivée de Wilhelm.

Le soir, après une courte promenade sur la route d’Heidelberg, où le chevalier retomba dans ses douloureuses perplexités, on fit un peu de musique dans le salon de Mme de Narbal. Les trois cousines essayèrent de chanter ensemble le charmant trio du Mariage secret de Cimarosa, où Frédérique était chargée de la seconde partie, qu’elle ne dit qu’à contre-cœur, car cette musique facile, d’une gaîté si piquante et si familière, répugnait à son caractère sérieux et mélancolique. Frédérique, comme une véritable Allemande, était assez peu sensible à la musique bouffe, qui constitue l’une des supériorités du génie italien. La présence de Wilhelm aurait d’ailleurs suffi pour empêcher Frédérique d’exprimer avec l’aisance convenable un autre sentiment que celui qui la préoccupait à cette heure. C’est à lui qu’elle tenait à plaire, et le fils gourmé du baron de Loewenfeld n’était guère capable d’apprécier la désinvolture et la grâce suprême d’un art qui a produit l’Arioste, le Corrège et Cimarosa. La soirée, que remplirent divers épisodes de chant, de danse et d’aimables causeries, se prolongea assez tard. Les trois cousines, groupées autour de Wilhelm dans un coin du salon l’écoutaient parler, s’amusaient de ses récits et semblaient n’avoir d’yeux et d’oreilles que pour lui. Au milieu de ces bruits et de cet enjouement de la jeunesse, le chevalier éprouvait de nouveau les plus vives inquiétudes. S’entretenant avec Mme Du Hautchet, qui le harcelait de questions oiseuses, il s’efforçait de lui répondre, mais sans pouvoir détacher son regard du groupe où se trouvait Frédérique. Un mot, un mouvement, une attention de cette enfant qu’il interprétait d’une manière plus ou moins favorable, le faisaient passer par les émotions les plus diverses et les résolutions les plus opposées. Tantôt il s’affermissait dans l’intention où il était de quitter Schwetzingen le lendemain matin, tantôt il s’abandonnait à la douce