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ce pas ? ajouta-t-elle avec anxiété sans attendre de réponse. Ma tante vous aime tant qu’elle serait bien chagrine, si vous quittiez, notre pays.

— Sans avoir de projet bien déterminé, il est prudent de se préparer à des événemens qui sont inévitables. Je ne puis pas toujours rester ici,… et vous-même, Frédérique, n’êtes-vous pas destinée à retourner à Augsbourg auprès de votre famille, qui doit penser à votre avenir ?

— De quel avenir voulez-vous parler, monsieur le chevalier ? De mon mariage ? demanda la jeune fille avec une franche naïveté.

— Mais sans doute, répondit Lorenzo avec une émotion timide qui fit plaisir à Frédérique.

— Ah ! dit-elle, nous sommes encore loin de pareilles idées, et mes parens d’Augsbourg sont trop occupés de leurs affaires pour avoir de si tôt le loisir de me tourmenter à ce sujet. Ne croyez à un semblable événement, monsieur le chevalier, que lorsque vous l’apprendrez de ma bouche. Je me trouve trop heureuse ici, auprès de ma bonne tante de Narbal, pour songer à la quitter.

Cette réponse, qui pouvait avoir un double sens et signifier précisément l’intérêt que prenait Frédérique aux visites de Wilhelm de Loewenfeld, troubla la joie du pauvre chevalier. Il révéla la perplexité de son esprit par un sourire amer que Frédérique remarqua.

— Qu’est-ce qui vous fait sourire ? lui dit-elle un peu surprise.

— Une idée qui me traverse l’esprit, répondit-il avec embarras.

— Vous est-il permis de m’en faire part, monsieur le chevalier ? répliqua la jeune fille avec une curiosité maligne.

— Oui, vraiment, dit Lorenzo sur un l’on de fausse gaîté. Je pensais que vous avez toute sorte de bonnes raisons pour aimer le séjour de Schwetzingen, et que peut-être vous ne serez jamais obligée de le quitter tout à fait.

— Ah ! je vous comprends, s’écria Frédérique avec grâce ; vous voulez parler de M. Wilhelm de Loewenfeld, n’est-ce pas ? C’est un charmant cavalier que je vois avec plaisir, mais…

Ici elle fut interrompue par l’arrivée de M. Rauch, qui venait lui donner sa leçon d’harmonie et d’accompagnement, et l’entretien n’eut pas de suite.

Le chevalier resta indécis sur le sens qu’il devait attacher aux derniers mots de Frédérique. — Aimait-elle vraiment Wilhelm de Loewenfeld, et, si elle l’aimait, comment expliquer cet accueil plus que bienveillant ? Il ne pouvait douter de la joie vive et sincère qu’éprouvait Frédérique de son retour, ni des craintes non moins sérieuses qu’elle avait manifestées pendant son absence. Elle était trop jeune pour simuler des sentimens qu’elle n’aurait pas éprouvés, et il y avait dans son caractère des tendances trop élevées pour ne