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des chefs-d’œuvre des maîtres. Le désir de vous plaire, de vous être utile, le plaisir qu’on éprouve à voir une âme jeune et pure s’épanouir au souffle généreux qu’on lui communique, toutes ces causes intimes m’attachèrent à vous d’un lien puissant, et je finis par vous adorer comme un artiste adore l’œuvre privilégiée de son génie. Oui, Frédérique, vous avez été pour moi une cause de renaissance morale : je me suis rajeuni auprès de vous ; vous avez réveillé dans mon cœur et dans mon imagination les émotions et la poésie de ma jeunesse, et en vous aimant je suis resté fidèle à l’idéal de ma vie. C’est là mon excuse auprès de vous, et ce sera ma justification auprès de ceux qui seront chargés de votre bonheur, s’ils sont dignes de comprendre les grandes péripéties du cœur humain. Je puis marcher le front haut en pensant à vous, je puis avouer devant Dieu et devant les hommes que vous avez été pour moi une fleur de poésie dont la grâce et les parfums m’ont pénétré d’une ivresse pure et féconde. Aussi, tant que je vivrai, vous serez l’unique objet de mes préoccupations, le point lumineux vers lequel se dirigeront mon esprit et mon cœur. Introduit dans la vie par un ange d’amour qui m’a éclairé de sa lumière, vous serez pour moi comme cette étoile du soir qui égaie le regard du voyageur attardé, et dont la douce clarté le remplit d’espérance.

« Adieu donc, chère et adorable enfant, rappelez-vous quelquefois les momens heureux que nous avons passés ensemble dans cette maison hospitalière ; conservez pieusement les nobles impressions que vous avez éprouvées en étudiant à côté de moi les œuvres, des grands maîtres ; ne laissez pas affaiblir le goût que vous avez déjà pour les belles choses de l’art, développez par la réflexion les germes de noblesse qui sont en vous, et tenez votre âme en garde contre les convoitises vulgaires, contre les conseils égoïstes des prétendus sages qui essaieront de sacrifier votre bonheur à ce qu’ils appellent les convenances du monde. Dans les momens difficiles où vous vous trouverez sans doute, consultez avant tout votre cœur, écoutez souvent cette voix intérieure de la conscience qui ne trompe jamais ; ne résistez que rarement aux inspirations généreuses de l’âme et ne confiez votre destinée qu’à l’homme qui méritera votre estime et votre amour. La vie sans amour, c’est comme un paysage sans lumière. Il en est de l’amour comme de la poésie dont tout être sensible porte en lui le germe ; mais ce germe reste souvent enfoui dans l’organisme matériel, et il y a des milliers de créatures qui expirent sans jamais avoir éprouvé ni compris la puissance de cette grande commotion de l’âme. « Il n’est rien sur la terre qui élève plus l’homme dans son intime pensée que l’amour, a dit Hoffmann dans sa belle fantaisie sur le Don Juan de Mozart ; c’est