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rendirent successivement l’Angleterre ivre de jeu et ivre de vengeance. Des milliers de familles trouvèrent la ruine dans des compagnies fantastiques pour l’engraissement des cochons, le commerce des perruques, l’amélioration de la bière et l’emploi du mouvement perpétuel. Le prince de Galles se mit à la tête d’une société pour l’exploitation de mines imaginaires, et sut s’en retirer à temps avec un bénéfice d’un million ; le roi lui-même fut accusé d’agiotage : Robert Walpole eut seul la dextérité de s’enrichir et de grandir au milieu de la crise d’où ses collègues et ses rivaux sortirent l’honneur atteint et la bourse vide.

On regarde parfois Walpole comme le père de la corruption parlementaire dans son pays. Vingt ans premier ministre, il l’a sans doute plus longuement et plus habilement pratiquée que tout autre ; mais ses prédécesseurs lui en avaient donné l’exemple, et ses successeurs en firent un plus grand abus que lui. La vénalité des membres de la chambre des communes était alors en Angleterre un produit naturel des mœurs et des lois. La révolution avait rendu le parlement libre et les consciences faciles ; elle avait enlevé au pouvoir les moyens d’intimidation par lesquels il agissait autrefois sur les représentans, sans donner au public les moyens de surveillance par lesquels il les défend aujourd’hui contre la tentation de spéculer sur leur mandat. La chambre des communes était puissante, le sens moral était faible et les délibérations étaient secrètes. La couronne avait grandement intérêt à acheter les votes ; les votans ne se faisaient guère scrupule de les vendre, et les vendeurs étaient à peu près assurés de l’impunité. De là cette ère de corruption parlementaire qui commence à Charles II et finit sous le gouvernement de Pitt.

De même que la liberté parlementaire eut pour premier effet la corruption parlementaire, la liberté électorale eut pour premier effet la corruption électorale. Dès que les ministres cessèrent de violenter les électeurs, ils cherchèrent à les acheter. Ce fut un progrès. La corruption fausse beaucoup moins les élections que la violence. C’est un moyen qui est à la disposition de tous les gens sans scrupule et qui n’agit que sur les gens sans scrupule. L’opposition peut en user comme le pouvoir, et le pouvoir comme l’opposition ne peuvent en user qu’auprès d’un nombre restreint de citoyens. Walpole, on le sait, employait tous les moyens imaginables de séduction. Il se servait cyniquement, pour grossir sa majorité, du patronage de la couronne, des fonds secrets, de sa propre bourse ; on assure qu’il dépensa un million et demi sur sa fortune personnelle dans les élections de 1734, et qu’il donnait régulièrement sur le budget, pendant toute la durée des sessions, dix guinées par semaine aux membres écossais. L’opposition n’en réunit pas moins, en plein ministère de Walpole, jusqu’à 205 voix contre 266 ; les grandes factions