Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
REVUE DES DEUX MONDES.

en apparence son unique mission ; seulement il essayait à son tour, sinon de se former une majorité, fort difficile à obtenir dans l’état des partis, du moins de se créer des amis, de rallier des adhérens à un drapeau dont les couleurs n’étaient pas des plus distinctes ; en un mot, il essayait de vivre. Et ici, dans cette période d’élections, surgissait un incident qui compliquait singulièrement les choses, qui a légué tout au moins un certain embarras à la situation actuelle. Par des mesures peu calculées sans doute, par une circulaire qui restreignait le droit de réunion électorale, le ministre de l’intérieur, M. Vahamonde, conduisait le parti progressiste à s’abstenir complètement et systématiquement dans les élections. Ce n’était pas d’un avis bien unanime que les progressistes en venaient là : M. Madoz et d’autres combattaient l’abstention ; M. Olozaga, le général Prim, l’appuyaient. L’opinion de ceux-ci l’emporta, et, la résolution une fois adoptée, tous s’abstenaient, tous restaient fidèles à ce mot d’ordre de tout un parti, de sorte que dans le nouveau congrès il n’y a plus un seul progressiste, et le parti démocratique a suivi la même ligne de conduite. C’était évidemment une faute de la part des progressistes de se retirer ainsi de la lutte sans combat. Par cette abstention systématique dans des conditions qui, fussent-elles irrégulières, n’étaient point faites pour provoquer une aussi grande résolution, il n’obtenait pas une victoire morale et il allait au-devant d’une défaite matérielle, qui, pour être volontaire, n’en était pas moins réelle. Ou bien il cherchait à dissimuler son impuissance, ou il faisait acte d’abdication, ou il semblait renoncer à la lutte légale et laisser entrevoir qu’il attendait le moment de recourir à d’autres moyens. De toute façon, c’était bien moins soutenir son droit que se mettre hors d’état de le défendre. À quoi cela lui a-t-il servi ? Le parti progressiste a-t-il retrouvé plus de force ? Est-il plus uni qu’il ne l’était ? A-t-il pris plus d’ascendant moral sur le pays ? Nullement, il est absent du congrès, il s’est enlevé la possibilité de tenir son drapeau dans le parlement, et voilà tout.

L’abstention des progressistes dans les élections a eu, d’un autre côté, un résultat politiquement peu favorable ; elle a livré trop exclusivement la scène à un parti qui, dans son ensemble, peut bien s’appeler sans doute le parti modéré, mais dont les nuances infinies, incohérentes, hostiles les unes aux autres, vont d’un semi-absolutisme à un libéralisme de plus en plus sensible, et elle a placé le ministère dans l’embarras d’avoir à choisir entre toutes ces nuances, entre des amis qui l’attirent pour l’absorber. Elle a contribué enfin à créer dans le parlement une de ces situations où, à défaut d’un adversaire devant lequel on se rallie en certains momens, la politique se perd dans l’excès des personnalités, dans les rivalités, les jalousies et les ressentimens mesquins. C’est là malheureusement le caractère de la dernière discussion de l’adresse. La personnalité y déborde, submergeant en quelque sorte toutes les questions politiques ; les compétitions vulgaires. les antagonismes de ministres déchus, les ressentimens individuels, s’y donnent pleine et libre carrière. Tout disparaît dans ces luttes médiocres,