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confie, elle offre à son activité un vaste champ, et à sa pauvreté des ressources trop souvent nécessaires. Elle peut même se charger jusqu’à un certain moment de l’éducation de l’artiste, et sa gloire est de dépenser beaucoup, dût-elle recueillir moins qu’elle ne sème. Peut-être vaut-il mieux aider sans résultat brillant vingt sujets médiocres que de manquer à un seul talent. Seulement la culture suppose le germe. À cette question : comment atteindre en France la perfection de la sculpture grecque ? Émeric David répond : « C’est au législateur à opérer ce prodige. » Oui, dirons-nous, mais à une condition : c’est que le législateur aura trouvé en France le génie plastique, le climat, les mœurs et l’anthropomorphisme religieux de la Grèce. Or cette condition ! existe-t-elle ? Qui l’oserait soutenir ? Bien plus, qui l’oserait regretter ? Mais en l’absence de ces élémens la solution qu’on nous offre n’équivaut-elle pas à une illusion ? N’en décidons pas encore, et passons à l’examen des causes techniques et philosophiques de l’habileté des sculpteurs grecs.


II

Au début de la seconde partie de son ouvrage, Émeric David rappelle qu’il n’y avait pas en Grèce d’école publique et gratuite des beaux-arts, et que chaque élève payait son maître ; puis il s’écrie que ces hommes judicieux avaient pour maxime que les leçons qu’on achète valent mieux que celles que l’on reçoit gratis de l’état. Le passage du Protagoras de Platon cité à l’appui ne démontre pas du tout que ce fût là une maxime de ces hommes judicieux ; c’était simplement une habitude. Sous cet heureux climat, où encore aujourd’hui on peut vivre d’un peu de pain et de quelques olives, où l’on couche en hiver sur une planche, et en été sur le trottoir, devant sa porte, où les anciens, plus robustes que leurs descendans actuels, allaient nu-pieds quand ils étaient pauvres, la vie était facile, et, la bonne nature faisant pour tout le monde ce qu’elle ne fait pour personne chez nous, les artistes arrivaient sans trop d’efforts à payer leur apprentissage. On ne dit pas au reste si ces leçons étaient à très haut prix, et il est permis d’en douter. Plus d’un maître généreux dut admettre gratuitement dans son atelier tel enfant de belle espérance qui n’avait pas un sou vaillant. Il n’y a pas grand’chose à conclure de cette absence d’écoles publiques. Encore une fois, les écoles publiques ne créent pas le talent ; mais il serait par trop étrange de poser en principe que nécessairement elles le fourvoient ou l’abâtardissent.

Le jeune sculpteur grec allait donc s’instruire, Platon nous l’apprend,