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d’Éden avait à créer ? Pourquoi eût-il refait l’univers ? Lorsque l’innocence en larmes se retira de notre monde, elle rencontra la poésie sur le seuil ; elles passèrent à côté l’une de l’autre, se donnèrent un regard et poursuivirent leur chemin, l’une vers les cieux, l’autre vers l’habitation des hommes. » Vue naïve et profonde ! image que Klopstock eût enviée. Ah ! celui qui avait écrit de telles paroles, avec quel enchantement il dut retourner à nos poètes au lendemain des discussions d’église ! avec quelle joie il dut les commenter devant son jeune auditoire !


IV

Du haut de ces sphères de l’étude où se retrempait son âme, il fut rappelé violemment sur la terre. Ce fanatisme de l’irréligion qu’il voyait grandir depuis vingt ans et qu’il n’avait cessé de combattre était maître de la république. Il ne se trompait donc pas, le prévoyant écrivain, lorsqu’il enseignait à la démocratie le respect de tous les droits et qu’il affirmait si énergiquement le droit de la conscience. Il avait bien vu que le péril était là. Le 14 février 1845, le gouvernement honnête, mais faible, qui administrait le canton de Vaud depuis 1830, fut renversé par le radicalisme. « Ce fut moins une révolution politique, dit M. Edmond Scherer, qu’une révolution morale et sociale. Il n’y eut pas substitution d’une forme de gouvernement à une autre, il y eut insurrection de la masse contre toutes les supériorités… La question des jésuites fut le prétexte ; au fond, c’est à l’ordre, c’est à la civilisation, c’est à l’honnêteté qu’on en voulait. L’histoire n’a guère à raconter de mouvement plus odieux. » Les vainqueurs du 14 février ne tardèrent pas à supprimer la liberté religieuse ; ils poussèrent même si loin la tyrannie que plusieurs pasteurs de l’église nationale se démirent de leurs fonctions, et essayèrent, malgré la loi, de fonder une église indépendante.

Ces luttes sont compliquées, obscures, et je n’ai point à m’en occuper, si ce n’est pour achever par quelques détails de mettre en relief la physionomie de Vinet. Le moment est venu où le publiciste est obligé de se transformer en tribun. Soit qu’il faille soutenir le courage des pasteurs démissionnaires, soit qu’il s’agisse de faire un appel au peuple, Vinet est sur la brèche[1]. Ses adversaires le craindraient moins, s’il était plus véhément. Ce qu’on redoute chez lui, c’est la modération et la force, c’est l’autorité du

  1. On trouvera toutes ces polémiques dans le volume intitulé Liberté religieuse et questions ecclésiastiques, par A. Vinet, in-8o. Paris 1854.