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caractère et la lumière du langage. L’analyse est son arme, et il la manie en maître. Il n’est pas de situation si ténébreuse où il ne porte tout à coup son impitoyable clarté, il n’est pas de mensonge qu’il ne démasque, pas de sophisme qu’il ne mette en pièces. Au milieu de tant d’écrits où se multiplie sa verve, on remarquera la Pétition au peuple vaudois, datée du mois de janvier 1846. On a beau ne s’intéresser que médiocrement à la discussion des détails, il est impossible de ne pas écouter avec profit cette voix fière et douce qui réclame si noblement la liberté. Nous connaissons bien des sortes de libéralismes : il y a le libéralisme hypocrite qui n’est qu’un instrument de parti, il y a le libéralisme vulgaire qui dédaigne nos plus grands intérêts ; le libéralisme de Vinet, fondé sur le respect de la conscience, est aussi sincère que noble. Rien d’humain, rien de divin ne lui est étranger.

La tristesse que lui inspiraient les violences de la démocratie ne l’empêchait pas d’espérer dans l’avenir et de se fier à la Providence. Il écrivait à un ami, au milieu de ses batailles continuelles : « J’aurais horreur de penser que quelqu’un n’est pas au centre de tout ce mouvement et n’en tient pas tous les élémens dans sa main, quelqu’un vers qui, le connaissant ou ne le connaissant pas, toutes les créatures élancent avec un gémissement profond le nom tendre et rassurant de père. » S’il se sentait pris de quelque découragement, la nature qu’il aimait en poète, la grande nature de son pays, lui était une consolatrice. Quel contraste entre ces paysages sublimes et les mesquines passions des partis ! « Venez, écrivait-il à ce même ami de France qui rêvait une vie de méditations au bord du lac de Genève, venez malgré nos divisions, malgré nos clameurs discordantes. Je compare notre pays à un air touchant sous lequel on a mis des paroles sans rapport avec les notes. Nous laisserons les paroles, nous écouterons l’air. » Quant à lui, les paroles tombées de sa plume ou de ses lèvres étaient de plus en plus conformes à la musique des Alpes ; tout y était grandeur et pureté harmonieuse. C’est alors qu’il écrivit le plus beau de ses ouvrages, le résumé des pensées de toute sa vie, celui qu’il intitule Du Socialisme considéré dans son principe[1].

Vinet, dans ces pages excellentes, laisse de côté les divers plans d’organisation sociale qui avaient surgi dans l’ombre depuis une vingtaine d’années, et qui devaient bientôt se disputer si bruyamment la place publique ; ce qu’il attaque, c’est le principe même, le principe funeste qui affaiblit ou détruit la personnalité humaine. Jamais

  1. Cet écrit, publié d’abord en 1846, a été reproduit dans le volume des œuvres de Vinet qui porte ce titre : l’Éducation, la Famille et la Société, in-8o. Paris 1855.