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Mme de Sévigné. Ainsi de part et d’autre les imaginations s’empressaient de supposer les crimes les plus abominables. D’après La Reynie, il avait été question du surintendant lors du procès de la marquise de Brinvilliers, qui, interrogée à ce sujet, aurait désigné un apothicaire, qu’on savait s’être livré à la préparation des poisons, comme allant tous les ans en Italie pour le compte de Fouquet. Vers le commencement de 1680, les complices de la Voisin mêlèrent son nom à leurs dénonciations. On conçoit l’inquiétude de la cour à ces révélations inattendues. Un prêtre nommé Davot, qui fut plus tard pendu et brûlé, déclara qu’un conseiller au parlement, parent de Fouquet, qu’on appelait Pinon-Dumartroy et qui était mort en 1679, lui avait demandé du poison pour le venger. D’autres accusés furent également brûlés vifs comme complices du dessein qu’auraient eu un homme et une dame de qualité d’avoir voulu faire mourir le roi et Colbert et rendre le pouvoir à Fouquet. L’homme de qualité était resté inconnu ; mais la dame n’était rien moins, d’après les dénonciateurs, que la duchesse de Vivonne. Or la femme Filastre avait dit, à la torture, avoir écrit un pacte « par lequel ladite dame demandoit le rétablissement de M. Fouquet et à se défaire de M. Colbert[1]. » On se souvient enfin que la Filastre n’avait rétracté, au moment de mourir, que les faits relatifs à Mme de Montespan. Telle était la situation quand la Gazette de France du 6 avril 1680 donna la nouvelle suivante : « On nous mande de Pignerol que le sieur Fouquet y est mort d’apoplexie ; il avoit été procureur-général et surintendant des finances. » Mme de Sévigné écrivit de son côté qu’il avait succombé « à des convulsions et des maux de cœur, sans pouvoir vomir. » Nous ne voulons, sur d’aussi faibles preuves, accuser personne[2] ; cependant la soudaineté et les circonstances de cette mort rappellent involontairement qu’on avait craint à Paris, vers le même temps, que les amis de Fouquet ne cherchassent à empoisonner Colbert et le roi. Ajoutons que les appréhensions qu’on avait pu concevoir à ce sujet ne cessèrent même pas à la mort du surintendant. En effet, quinze mois après, le 17 juin 1681, Louvois écrivit encore à La Reynie : « J’ai reçu votre lettre du 16 de ce

  1. Il est juste de faire remarquer que cette déclaration de la femme Filastre est postérieure de quelques mois & la mort de Fouquet ; mais d’autres accusés l’avaient incriminé avant elle.
  2. Les assimilations seraient fort dangereuses en histoire, et je n’en veux pas faire. Qu’on me permette cependant de citer à cette occasion un fait qui aurait d’ailleurs lui-même besoin d’être bien établi. Un savant collectionneur du XVIIe siècle, Bouillaud, analysant la politique du cardinal de Richelieu, parle d’une lettre où « il pressoit le roi de demander au pape un bref par lequel il lui fût permis de faire mourir, sans autre forme de justice, ceux qu’il croiroit dignes de mort, ce que le pape Urbain VIII refusa. » (Bibliothèque impériale, Recueil Bouillaud, S. F. 997, vol. 33, catalogue.)