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conspection nous est imposée avec une telle force qu’on ne saurait nous reprocher avec justice de la pousser trop loin. Le grand et spirituel orateur que la France admire parlait naguère d’un homme qui confierait son secret à dix personnes et qui recommanderait bien à une onzième de n’en rien dire. C’est nous qui sommes la onzième personne, onzième personne qui se résigne d’autant plus volontiers au petit ridicule de sa situation qu’elle sait que le secret en question est aujourd’hui en meilleures mains que les siennes, et n’est autre chose après tout que le secret de tout le monde.

Si pour le moment la critique politique se voit refuser dans la presse les franchises qui appartiennent à la critique philosophique ou littéraire, une ressource nous reste : nous avons le droit de parler en notre nom des mêmes questions qui s’agitent au sein du corps législatif, et il ne nous est pas interdit de nous aider au besoin, dans l’appréciation de ces questions, des lumières et des informations que le débat parlementaire nous peut apporter. C’est dans ces limites, ce nous semble, qu’il nous est permis de discuter à notre point de vue les questions dont le corps législatif vient de s’occuper en votant les crédits supplémentaires et en abordant le débat de l’adresse.

Dans l’ordre des dates, la première de ces questions est la question financière. Un rapport excellent de M. Larrabure a vulgarisé les principaux traits de notre situation financière et les a pleinement portés à la connaissance du public. Un beau discours de M. Berryer, discours substantiel, nourri de l’étude consciencieuse des documens qui établissent l’état de nos finances, a puissamment appelé sur cette question l’attention émue du pays. Une réponse développée de M. Vuitry, claire et sincère comme tous les exposés qui émanent de ce vice-président distingué du conseil d’état, a complété cette exploration publique de la situation financière de la France. Pour ce qui nous concerne, cette belle discussion n’a point modifié les opinions que nous avons émises depuis longtemps sur la question de nos finances. Nous sommes plus frappés, et si nous osions nous servir d’une expression forte, nous dirions plus choqués que jamais du contraste que présente notre situation financière. Il n’y a pas en Europe, et nous n’exceptons pas même l’Angleterre, de pays mieux fait que la France pour avoir de magnifiques finances, et cependant nous nous trouvons toujours en face de situations de trésorerie pénibles et pour ainsi dire nécessiteuses. Plus riches que les autres peuples, nous nous donnons à nous-mêmes et nous donnons au monde le spectacle maussade et peu flatteur du riche gêné. Si nous considérons nos ressources financières, nous pouvons sans faux orgueil affirmer que notre richesse est sans égale. Notre revenu public est énorme et suffit à couvrir un budget de plus de deux milliards, les impôts qui alimentent ce revenu sont lourds sans doute, mais la France les supporte facilement, ils ne dépassent point encore les forces des contribuables, puisque le produit de ces impôts, au lieu de diminuer, s’accroît chaque année d’une