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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/518

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Le Capitaine Fracasse n’est rien moins qu’entraînant ; s’il nous intéresse au début, il nous lasse très vite par d’interminables détails et par l’abus du style pittoresque ou technique. Le lecteur en quête d’intérêt est rassasié d’images. Ce ne sont que détails d’architecture, de lambris et d’ornementation, corniches, balustres, lambrequins, rocailles, et quoi encore ? Apprenez qu’au château de Bruyères « il y avait la chambre jaune, la chambre rouge, la chambre verte, la chambre bleue, la chambre grise, la chambre tannée, la chambre de tapisserie, la chambre de cuir de Bohême, la chambre boisée, la chambre à fresques et telles autres appellations analogues qu’il vous plaira d’imaginer, car une énumération plus longue serait par trop fastidieuse et sentirait plutôt son tapissier que son écrivain. » Eh ! que fait donc M. Gautier lorsqu’il entasse détails sur détails, si ce n’est le mémoire d’un tapissier ? Pourquoi nous montrer de si près ces tentures « de cuir de Bohême gaufré de fleurs chimériques et de ramages extravagans découpant sur un fond de vernis d’or leurs corolles, rinceaux et feuilles enluminées de couleurs à reflets métalliques luisant comme du paillon ? » Pourquoi tant caresser du regard le dossier carré des chaises étoilées de clous d’or et frangées de crépines ? Pourquoi nous faire en quarante lignes le portrait d’une misérable rosse dont la sueur avait « agglutiné sous le ventre des flocons de poil, délavé les membres inférieurs et fait avec la crotte un affreux ciment ? »

Les châteaux ou la rase campagne, le taudis malpropre du spadassin Lampourde ou le cabaret du Radis couronné font miroiter aux yeux du lecteur leurs tableaux chargés de couleur, sans qu’il sache où se réfugier pour respirer à l’aise un instant. On ne saurait le nier, M. Gautier connaît les toilettes des élégans, des soubrettes et des grandes dames qui vivaient il y a plus de deux cents ans ; il est expert en fait de dentelles, de nœuds, de ferrets, de coiffures, etc. ; mais

Cette voix du cœur, qui seule au cœur arrive,


ne la lui demandez pas. Toujours et partout un luxe d’oripeaux et de broderies, un pêle-mêle de combats, d’escalades et d’aventures enchevêtrées qui écrase les lignes primitives de l’œuvre, si ces lignes ont jamais existé : nous en doutons. L’auteur du Capitaine Fracasse ne va-t-il pas au hasard, faisant la chasse aux descriptions comme un antiquaire fait la chasse aux vieilleries ? D’autres que lui, du reste, ont écrit des romans d’aventures et choisi capricieusement une époque reculée, pour y loger leur fantaisie. Quand M. Prosper Mérimée composait la Chronique de Charles IX, il recherchait aussi la réalité pittoresque des détails, et, comme le remarque justement Gustave Planche, « il ne faut pas chercher dans les aventures de Mergy le développement progressif d’une idée préconçue. Non, l’auteur marche à l’aventure comme son héros, il nous mène à l’hôtellerie, au milieu des retires et des bohémiens, à la cour, parmi les raffinés, dans l’oratoire amoureux d’une comtesse. Il conte pour conter… » Quelle différence pourtant ! « Chacun des chapitres de son livre est un chef-d’œuvre de simplicité. On n’y trouve jamais une description oiseuse ; il ne s’amuse pas à nous expliquer les meubles et les parures en style d’antiquaire. Ce qu’il lui faut, ce