Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ressources, le besoin de manger de la viande a dû s’exalter parfois jusqu’à la frénésie et faire oublier la répugnance instinctive si souvent constatée chez d’autres peuples qui présentaient cependant le même trait de mœurs[1]. Aussi est-ce surtout dans les localités que je viens d’indiquer que le cannibalisme était réellement passé dans les mœurs, et la chair humaine regardée comme une friandise. Par contre, dans les grandes îles, remarquables par leur fécondité, dont les côtes fourmillaient de poissons et où avait pénétré le porc, le besoin dont nous parlons avait trouvé à se satisfaire. Par suite, le progrès des mœurs l’avait emporté même sur les idées religieuses primitives, et le cannibalisme avait disparu avant l’époque des découvertes.

Il est inutile d’insister sur quelques autres usages des Polynésiens, usages qui leur sont plus ou moins communs avec d’autres peuples placés un peu au-dessus ou un peu au-dessous dans l’échelle des civilisations. À ce titre, nous mentionnerons seulement l’usage de s’enivrer avec le kawa, qui par sa nature et son mode de préparation rappelle presque entièrement la chicha des Américains, leurs diverses manières de se parer de plumes, de coquilles, de fleurs ; mais nous nous arrêterons un instant au tatouage, pratique qui existe dans toutes les îles de la Mer du Sud, excepté à Rapa.

Le tatouage se retrouve, on le sait, sous des formes diverses à peu près chez tous les peuples du globe et chez les Européens eux-mêmes. Dans bien des cas sans doute, il est employé à titre de parure ; mais chez une foule de populations sauvages ou à demi sauvages il a de plus un but sérieux, et devient le signe de la nation ou de la tribu. C’est avec ce double caractère qu’il se montre en Polynésie. Les femmes croient s’embellir en se dessinant sur diverses parties du corps des fleurs ou des arabesques ; le guerrier des îles Marquises se couvre le corps de scarifications qui simulent une armure damasquinée ; le Néo-Zélandais réserve presque exclusivement ces marques pour sa figure, dont la surface entière finit par être envahie par des dessins d’une régularité et d’une complication également remarquables.

C’est à la Nouvelle-Zélande que l’art du tatouage semble avoir été régi par les règles les plus précises et avoir acquis le plus d’importance ; il s’appelle ici moko. Les chefs, les nobles, ont seuls le droit de le porter ; toutefois un homme du peuple, un roturier, peut mériter le moko par une action d’éclat. Les chefs eux-mêmes n’arrivent pas d’emblée à compléter le masque bizarre que nos lecteurs connaissent sans doute. C’est un honneur qu’il faut mériter et gagner pas à pas. Dumont-d’Urville, dans une de ses relâches, eut

  1. Entre autres chez les tribus anthropophages de l’Amérique du Sud.