Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/541

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaire à deux chefs néo-zélandais, Touaï et Chongui. Ce dernier avait été tatoué cinq fois. Il avait tous ses mokos. Touaï n’en était qu’au second et espérait obtenir le troisième à la suite d’une expédition qu’il méditait. Dans ce cas, le moko, le tatouage, est une récompense décernée par l’autorité supérieure : il atteste les exploits de celui qui le porte et répond par conséquent à nos décorations ou aux épaulettes qui distinguent les grades.

Le tatouage a cependant bien d’autres significations. Touaï disait à Dumont-d’Urville, en lui montrant une ligne tracée sur son front : « Quoique Chongui soit plus puissant que moi, il ne pourrait pas porter cette ligne, parce que la famille Korokoro[1] est plus illustre que la sienne. » Ici le moko répond à nos armoiries. Aussi un Néo-Zélandais, voyant les armes gravées sur le cachet d’un Anglais, demandait-il si c’était là le moko de sa famille. Cette assimilation se soutient jusque dans l’application. Jadis le noble européen, ne sachant pas écrire, apposait son cachet en guise de signature au bas d’un acte où il intervenait comme partie ; le chef néo-zélandais en pareil cas trace ou fait tracer son moko. Lorsque Marsden acheta un terrain pour les premiers missionnaires qui prirent pied dans la Nouvelle-Zélande, Chongui, qui présidait à la transaction, dessina le moko du vendeur Okouna au bas de l’acte signé par les Européens.

Chez les peuples de cette île, le tatouage va plus loin encore. Pendant son séjour à Londres, le chef néo-zélandais Toupé-Koupa disait qu’il portait son nom écrit au milieu du front, et lorsqu’on fit son portrait, il surveilla avec un soin jaloux la reproduction rigoureuse des lignes qu’il déclarait tracées d’après des règles fixes. On aurait pu croire qu’il s’agissait seulement des armoiries de sa famille et qu’il craignait qu’on ne lui attribuât des merlettes pour des alérions ; mais il traçait à la plume les mokos de son frère, celui de son fils, et signalait des différences qui les distinguaient entre eux et du sien propre. Le tatouage prend ici, on le voit, une signification tout individuelle. — En résumé, grâce au moko, un Néo-Zélandais porte gravés sur sa figure son nom, celui de sa famille, son titre, son rang et la preuve des services qu’il a rendus.

On vient de voir comment, par suite d’un développement exceptionnel, mais qui n’en change aucunement la nature, le cannibalisme, le tatouage, sont devenus presque des traits caractéristiques chez les Néo-Zélandais. On peut en dire autant d’une institution commune à tous les Polynésiens, signalée par tous les voyageurs, mais à laquelle on a généralement attribué un caractère spécial, qui

  1. Touai appartenait à cette famille.