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difficile à retrouver, étaient autant de protecteurs affectés aux diverses professions. On en comptait douze pour les navigateurs, treize pour l’agriculture, cinq pour les pêcheurs, quatre pour les artistes, quatre pour les médecins, etc. Enfin au-dessous des alouas de toute sorte venait la foule des tiis, espèce de surveillans chargés de présider à tous les actes possibles, ou de divinités locales régnant sur tous les points du sol et de la mer.

On le voit, le Polynésien ne pouvait faire un pas ou accomplir un acte quelconque sans se trouver en présence de quelqu’une de ses divinités. Aussi cherchait-il sans cesse à se les rendre favorables. La prière précédait et suivait tous ses actes, et il n’épargnait pas davantage les offrandes, parmi lesquelles figuraient à Tahiti même de nombreux sacrifices humains. Cet excès de superstition et de formalisme avait du reste les conséquences qu’on retrouve partout, en Europe comme ailleurs : la moralité était loin d’être en rapport avec le développement religieux. Non que le sentiment moral et la distinction du bien et du mal manquassent entièrement à ces peuples, comme l’ont dit quelques voyageurs : bien des faits prouvent le contraire ; mais ils étaient singulièrement affaiblis. Confiant dans ses pratiques, dans les prières de ses prêtres, dans l’indulgence de ses dieux, le Polynésien croyait pouvoir se permettre à peu près tout. Chez lui, comme chez nous au moyen âge et parfois de nos jours encore, la foi la plus naïve s’unissait aux mœurs les plus violentes ou les plus licencieuses. Pour lui, le seul péché, dans l’acception européenne de ce mot, était le manquement à quelque formalité du culte, et une offrande l’effaçait.

À part toute autre raison, l’habitant de Tahiti ou des Marquises était en quelque sorte excusable d’agir ainsi en ce que la préoccupation d’une autre vie ne pouvait guère influer sur sa conduite. Il savait bien que l’âme survit au corps, il croyait bien à une sorte d’enfer, ou mieux de purgatoire, à des limbes, à un paradis qui réunissait les charmes de l’élysée des anciens aux jouissances du paradis de Mahomet ; mais ce lieu de délices était réservé aux chefs, aux aréoïs, ou aux simples particuliers assez riches pour en acheter l’entrée à très haut prix. Quant au pauvre perdu dans la foule, il en était réduit à espérer que son âme éviterait la pierre fatale qui condamnait les os à être grattés à diverses reprises, et entrerait d’emblée dans Po, séjour bien morne où elle ne rencontrerait plus ni peines ni plaisirs.

Après avoir donné ainsi, par quelques exemples, une idée des croyances religieuses des Polynésiens, des Tahitiens en particulier, il y a double intérêt, ce semble, à rappeler le jugement porté par Wallis sur ce sujet. On sait que ce grand navigateur, après une