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un passarinho (oiseau) que vous venez de tirer dégringole de branche en branche, et vous vous disposez à le mettre dans votre carnassière, lorsque vous l’apercevez, à demi englouti déjà dans la gueule d’une énorme cobra qui vous a devancé. Un chasseur novice s’enfuit à toutes jambes ; mais celui qui a de l’expérience et du sang-froid attend que l’animal ait fini d’avaler sa proie, glisse une balle dans son fusil et la lui envoie à la tête. Il sait d’ailleurs qu’il n’a rien à craindre. En effet, le corps, du serpent, se dilatant outre mesure pour engloutir sa victime, lorsque celle-ci est de forte dimension, se déforme complètement et ne rappelle bientôt que la masse indistincte d’un animal court et ramassé. Jamais métamorphose plus complète ; on ne voit plus qu’une gibbosité irrégulière qui, comme une enflure énorme, attire à elle toutes les forces de la vie et va faire éclater la peau. Tout mouvement est désormais impossible. C’est là en partie le secret de l’engourdissement où sont plongés tous les reptiles qui, après avoir avalé leur proie, ont à mener à bonne fin une digestion laborieuse.

Dans ces dernières années, on a cherché à utiliser le venin de la cobra. La médecine homœopathique y trouve, dit-on, un remède héroïque pour combattre certains empoisonnemens ; on a tenté encore, mais sans succès jusqu’ici, d’y découvrir un antidote contre l’éléphantiasis, qui fait tant de ravages dans ces pays chauds et humides. Les gens de couleur, qui colportent ce médicament, tâchent de prendre de jeunes serpens, les mettent dans des cages ad hoc, et de temps en temps leur présentent à travers les barreaux une baguette de bois dur. L’animal s’irrite contre l’objet qui vient troubler son repos et le mord à pleines dents. Au bout de trois ou quatre morsures son venin est épuisé, et on recueille le liquide, qui découle le long du bâton.

Les cobras qui n’ont pas de venin sont utilisées d’une autre façon. Dans le bassin des Amazones, certaines espèces de petits boas, giboya, sont apprivoisés et font dans les maisons l’office du chat. Le serpent est très friand de petits animaux et délivre les habitations d’une foule de rongeurs et d’insectes qui pullulent dans les fermes. Le voyageur qui n’est pas prévenu est quelquefois surpris de rencontrer le soir un de ces hôtes inattendus se dirigeant vers la porte de l’habitation et traversant paisiblement la salle, non sans jeter un coup d’œil oblique et inquiet sur l’étranger. Les gens de la maison jouent avec lui et se laissent entourer sans crainte de ses replis zébrés. D’ordinaire il sort le matin dès que les rayons du soleil ont assez de force pour chasser les fraîcheurs de la nuit, gagne la forêt voisine, où il passe sa journée à la poursuite du menu gibier, et rentre dans sa niche avant la nuit. Ce qu’on voit au Para se retrouve