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dans les colonies hollandaises de Java, et probablement aussi dans d’autres contrées. On peut dire qu’il n’est pas d’animal qui n’ait un côté humain. Les prêtres de Memphis élevaient des crocodiles et en faisaient même des dieux. Les anciens Bretons apprivoisaient le renard et le dressaient à la chasse. Les paysans des Pyrénées domptent l’ours et lui apprennent à danser.

Un autre voisin non moins incommode que le serpent et le jaguar, c’est le jacaré (caïman). Son industrie s’exerce le long des rivières qu’il remonte partout où s’élèvent des habitations, faisant gibier de tous les animaux domestiques, canards, oies, porcs, etc., qu’il rencontre sur le bord. Cet animal met souvent en défaut la sagacité des Indiens et des nègres aussi bien que celle des naturalistes, car il est impossible, au dire des plus fins connaisseurs, de distinguer l’espèce inoffensive (jacaré manso) de celle qui se jette sur l’homme (jacaré bravo). Sa vie aquatique et sa station horizontale présentent un singulier phénomène. Sa peau rugueuse arrête au passage les graines des plantes et le limon des mares qu’il habite de préférence. Ces graines germent rapidement dans un milieu si favorable, et il n’est pas rare de voir des touffes de végétation sur le dos des vieux caïmans qui fréquentent les endroits marécageux. Les nègres, plus soucieux du merveilleux que de la simple réalité, prétendent que certains individus portent jusqu’à des arbustes sur leur carapace noueuse[1].

La chasse au caïman est des plus malaisées, non qu’il soit difficile d’approcher cet amphibie : il suffit de se promener sur le bord d’une rivière, lorsque le soleil se montre après un orage, pour vor ces monstres allongés sur le sable et livrés au travail intérieur de la digestion dans une immobilité absolue ; mais les balles s’aplatissent sur leur peau, il n’y a guère que le défaut de l’oreille où elles puissent pénétrer. Dès que l’animal se sent atteint, il se précipite dans l’eau, en faisant une cabriole et en poussant un sourd mugissement. Si le coup a bien porté, on le voit bientôt reparaître inerte au milieu de la rivière, couché sur le dos. La mort d’un jacaré est une fête pour la plantation. Un plongeur va lui passer une corde sous les épaules, et tous les négrillons, se mettant à la file, le remorquent jusqu’à ce qu’on arrive à un arbre ou à un poteau. Là on hisse le monstre. Dès qu’il est suspendu, quelques-uns des plus intrépides s’approchent et essaient de grimper sur lui ; mais très peu osent se risquer. Quand la bande l’a suffisamment contemplé, on se met en devoir de l’écorcher. La peau lisse du ventre sert à fabriquer des

  1. Il va sans, dire que ces touffes ne sont autre chose que des mottes de terre qui peuvent disparaître du jour au lendemain sauf à être remplacées par d’autres.