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prendre, l’audace de Cælius semblait lui promettre un brillant avenir politique.

Cependant il avait aussi de grands défauts, qui lui venaient quelquefois de ses qualités mêmes. Il connaissait bien les hommes, c’est sans doute un grand avantage ; mais dans l’étude qu’il faisait d’eux c’étaient toujours leurs méchans côtés qui le frappaient de préférence. À force de les retourner en tous sens, son effrayante pénétration finissait toujours par mettre à nu quelque faiblesse. Ce n’était pas seulement pour ses adversaires qu’il réservait sa sévérité. Ses meilleurs amis n’échappaient pas à cette analyse trop clairvoyante. On voit, dans sa correspondance intime, qu’il connaît tous leurs défauts et qu’il ne se gêne pas pour les dire. Dolabella, son compagnon de plaisir, « est un bavard médiocre, incapable de garder un secret, même quand son indiscrétion devrait le perdre. » Curion, son associé ordinaire dans les intrigues politiques, « n’est qu’un brouillon sans consistance, changeant au moindre vent, et qui ne sait rien faire de raisonnable, » et cependant Curion et Dolabella, au moment où il les traitait de la sorte, avaient sur lui assez de crédit pour l’entraîner avec eux dans le parti de César. Quant à César lui-même, il ne parle pas mieux de lui, quoiqu’il se dispose à embrasser sa cause. Ce fils de Vénus, comme il l’appelle, ne lui paraît « qu’un égoïste qui se moque des intérêts de la république, et ne se soucie que des siens, » et il ne fait pas difficulté de reconnaître que dans son camp, où il va pourtant se rendre, il n’y a que « de malhonnêtes gens, qui ont tous des sujets de crainte dans le passé et de criminelles espérances pour l’avenir. » Avec une disposition d’esprit pareille et un penchant si décidé à juger sévèrement tout le monde, il était naturel que Cælius ne s’abandonnât complètement à personne, et que personne n’osât tout à fait compter sur lui. Pour servir utilement une cause, il faut s’y livrer tout entier. Or comment pourrait-on le faire, si l’on n’est pas capable de s’aveugler un peu sur elle et de n’en pas trop voir les mauvais côtés ? Ces personnages avisés et clairvoyans, uniquement occupés de la crainte d’être dupes, et qui portent toujours avec eux une vue si nette des défauts d’autrui, ne sont jamais que des amis tièdes et des alliés inutiles. En même temps qu’ils n’inspirent pas de confiance au parti qu’ils veulent servir, parce qu’ils font toujours leurs réserves en le servant, ils ne sont pas assez susceptibles d’enthousiasme pour former eux-mêmes un parti, et manquent toujours de ce degré de passion qui fait entreprendre de grandes choses. Aussi arrive-t-il que, comme ils ne peuvent être ni chefs ni soldats, et qu’il leur est impossible de s’attacher aux autres ou d’attacher les autres à eux, ils finissent par se trouver seuls.

Ajoutons que Cælius, qui n’avait pas d’illusion sur les personnes,