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ne semblait pas avoir non plus de préférence pour les opinions. Il n’avait jamais cherché la réputation d’être un homme à principes ni de mettre de l’ordre et de la suite dans sa vie politique. Là, comme dans ses affaires privées, il vivait d’expédiens. L’occasion, l’intérêt, l’amitié, lui faisaient une conviction de circonstance à laquelle il ne se piquait pas d’être longtemps fidèle. Il avait passé de Cicéron à Catilina lorsque Catilina lui avait semblé le plus fort ; il revint à Cicéron quand Cicéron fut victorieux. Il fut l’ami de Clodius tant qu’il resta l’amant de Clodia ; il abandonna le frère en même temps qu’il quittait la sœur, et embrassa brusquement le parti de Milon. Il a plusieurs fois passé, et sans avoir de scrupules ni d’embarras, du peuple au sénat et du sénat au peuple. Au fond, la cause qu’il servait lui importait peu, et il n’avait pas à faire beaucoup d’efforts pour s’en détacher. Au moment où il avait l’air de se donner le plus de mal pour elle, il en parlait d’un ton qui laissait penser qu’elle lui était très étrangère. Même dans les affaires les plus graves, et quand il s’agit du sort de la république, il ne semble pas supposer que cela le regarde en rien, et qu’il soit intéressé à son salut ou à sa perte. « C’est affaire à vous, dit-il, riches vieillards. » Mais lui, que lui importe ? comme il est toujours ruiné, il n’a jamais rien à perdre. Aussi tous les régimes lui sont-ils indifférens, et le seul intérêt sérieux qu’il prenne à ces luttes, dans lesquelles il joue pourtant un rôle si actif, c’est la curiosité. S’il se plonge avec tant d’ardeur dans les agitations de la vie publique, c’est qu’on y voit de plus près les événemens et les hommes, qu’on y peut faire des réflexions piquantes et qu’on y trouve des spectacles amusans. Lorsqu’il annonce à Cicéron, avec une perspicacité remarquable, la guerre civile qui s’approche et les malheurs qui vont arriver, il ajoute : « Si vous ne couriez pas quelques dangers, je dirais que la fortune nous prépare un grand et curieux spectacle. » Mot cruel, que Cælius a durement payé dans la suite, car ce n’est pas sans péril que l’on joue à ces jeux sanglans, et l’on devient souvent victime quand on pensait n’être que spectateur.

Lorsque cette guerre, qu’il annonçait ainsi à Cicéron, fut sur le point d’éclater, Cælius venait d’être nommé édile, et sa grande préoccupation était d’avoir des panthères de Cilicie pour les jeux qu’il voulait donner au peuple. En ce moment, après avoir plus ou moins séjourné dans tous les partis, il faisait profession de défendre la cause du sénat, c’est-à-dire qu’en parlant des sénateurs il disait « nos amis » et qu’il affectait de les appeler les « bons citoyens ; » ce qui ne l’empêchait pas, selon son habitude, d’avoir les yeux ouverts sur les fautes que pouvaient commettre les bons citoyens et de railler amèrement ses amis, quand l’occasion s’en présentait. Cicéron le trouvait froid et indécis ; il aurait voulu le voir s’engager davantage.