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plus facile que de livrer ce roman du Maudit pour ses détails scabreux, pour ses scènes risquées, pour l’audace de ses portraits, peut-être quelquefois transparens. Il reste toujours l’essence, la pensée même du livre, et c’est cette pensée qui touche à tout un ordre de problèmes, à tout un ordre de faits progressivement aggravés.

Ce qui est grave dans le Maudit et ce qui est vrai au fond, c’est cette crise mystérieuse et profonde où se débat un clergé honnête partagé entre les tendances d’un catholicisme absolu, dont les ordres religieux sont la vigoureuse condensation, et tout le mouvement d’idées modernes qui l’entoure, le presse, le pénètre, — c’est cette situation morale assez distinctement personnifiée après tout dans ce jeune prêtre ardent et tourmenté, ce Julio de La Clavière qui, même à son heure dernière, après toutes les persécutions, déclare vouloir mourir dans le sein de l’église catholique, apostolique et romaine, et croire aux dogmes qu’elle enseigne, qui n’a jamais prononcé un mot irrespectueux sur le pape même quand il veut dégager sa royauté spirituelle des liens temporels, qui n’exprime jamais un sentiment d’aigreur et de révolte contre ses supérieurs naturels, mais, qui en même temps ne veut ni renier son siècle, ni enfermer le catholicisme dans une doctrine d’absolutisme, ni subir la domination d’un ordre envahissant. Certes tout ce clergé français, masse obscure et dévouée, qui sous la direction de l’épiscopat travaille à répandre la lumière du Christ dans nos campagnes, ce clergé est dans son ensemble probablement le plus honnête, le plus désintéressé, le plus fidèle à ses devoirs. Il a la soumission de l’esprit et du cœur, la foi robuste et simple, et même dans des conditions organiques qui lui font jusqu’à un certain point, une dépendance précaire, il évite le plus souvent de se plaindre tout haut ; il reste uni à ses évêques et il travaille en silence. Ne serait-ce pas cependant une étrange méprise de considérer comme la plus exacte mesure de ses sentimens et de ses pensées tout ce que disent ceux qui prétendent, parler pour lui, ceux qui se font un catholicisme dont l’essence est la négation de tout ce que porte avec elle la civilisation moderne, à commencer par la liberté de la conscience humaine ?

Il y a sans doute des fanatiques de conviction, de tempérament ou de calcul, peut-être même de complaisance, qui acceptent ces théories toutes faites, qui les propagent, qui s’y conforment. Il y a aussi dans le clergé séculier, qui, à vrai dire, est la seule et véritable armée du catholicisme en France, il y a une multitude de prêtres qui au fond du cœur se refusent à répudier la grandeur de leur siècle, qui s’associent intimement au mouvement des choses et