Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des idées, aux libérales aspirations des esprits. Ils ne vont peut-être pas aussi loin que Julio de La Clavière, soit ; au fond, ils croient, comme lui, à un monde renouvelé, ils ne mettent pas le destin de la puissance spirituelle de la papauté dans la possession d’un territoire disputé. Ils sont sortis de la société moderne, du sein de la démocratie française, et ils sont de cette patrie morale par leurs instincts, par une certaine indépendance intérieure, par la foi à l’alliance possible de la liberté et du catholicisme. Je me souviens qu’un jour j’avais touché à quelques-unes de ces délicates questions ici même, et je reçus de divers côtés des lettres de prêtres de campagne qui ne se connaissaient pas entre eux, que je ne connaissais pas. L’un d’eux, que je ne nommerai point, qui vit sans doute obscurément dans sa paroisse, me disait : « Oui, monsieur, malgré les signes contraires, vous avez raison d’espérer. Même au sein du clergé de campagne, il y a des prêtres qui cultivent avec un soin jaloux les idées généreuses et fortes que vous défendez. Grâce à Dieu, les doctrines étroites et aveugles d’une certaine école… n’ont pas encore prévalu partout. Elles dominent, il est vrai, mais plus à la surface qu’au fond des âmes. Un jour viendra où, sous l’influence des événemens, la vérité, de ses clartés maîtresses, triomphera. Aussi fermes dans nos croyances, fidèles à nos dogmes,… nous ne renions pas, comme les écrivains absolus de cette école, notre époque ni notre civilisation. Nous en attendons au contraire beaucoup pour le bien des âmes… » Et n’est-ce pas là, sans phrase, sans roman, le signe de cette situation morale d’un clergé qui ne dit pas toujours peut-être tout ce qu’il pense, mais qui ne pense pas non plus tout ce qu’on dit pour lui ?

Il ne pense pas tout ce qu’on dit pour lui et en son nom ; mais il laisse parler, et c’est ainsi que se forme cette confusion où ceux qui ont quelque instinct des temps nouveaux retiennent le plus souvent une pensée qui les compromettrait, où les plus violens crient seuls, et où la masse suit l’impulsion de ceux qui crient, plus résignée que persuadée. C’est ce qui fait cette unanimité apparente, et, par une étrange contradiction, à ne consulter que les opinions qui retentissent chaque jour, les doctrines officiellement professées, voilà un clergé qui semble en guerre avec tous les instincts libéraux de la société où il vit, d’où il est sorti, avec un ordre nouveau de lois et d’institutions civiles qu’il préfère pourtant au fond, avec une situation dont il s’applaudit, mais qu’on lui représente sans cesse comme une révolte contre l’église. Et cela tient peut-être un peu à l’éducation du clergé, éducation resserrée, enfermée dans un certain ordre d’idées et d’habitudes, trop souvent retenue en dehors et dans l’ignorance de tous les mouvemens de la science et de l’esprit. Cela