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Maudissant la main qui le frappe, ce n’est plus à Dieu, c’est à Mammon qu’il consacrera les jours qui lui restent. Le père est mort en lui, le spéculateur survit tout entier, et, quittant Barkington pour Londres, il demande, aux émotions du jeu, au tumulte de Royal-Exchange, l’oubli, les consolations dont il a besoin.

Les Dodd, que son crime a ruinés à peu près complètement, supportent avec vaillance les privations, les inconvéniens d’une position réduite. Julia tire parti de son talent d’aquarelliste, mistress Dodd, oracle en matière de toilette, se résigne à travailler pour une grande maison de modes, et l’intrépide Edward, écartant les tristes souvenirs que lui a laissés la mort de sa bien-aimée Jane, fournit, lui aussi, son contingent de bon vouloir et de travail. Vainement sa mère et sa sœur le supplient-elles de retourner à l’université : il sait quels sacrifices leur coûterait le complément de son éducation inachevée ; il ignore en revanche où le mènerait une de ces carrières dites « libérales » pour lesquelles il ne se sent ni le talent ni la vocation nécessaires. Au service de ses besoins immédiats, il peut mettre deux bras vigoureux, une adresse, une agilité remarquables, et le hasard lui ayant fourni une occasion d’utiliser tous ces dons au plus fort d’un incendie, il se décide (l’oserons-nous dire ?) à revêtir l’humble jaquette du fireman[1]. Ainsi vivent, ainsi portent le poids du jour les trois membres de cette famille dont le chef, toujours privé de sa raison, est entretenu à grands frais dans un « asile privé, » et tout cela, ne l’oublions pas, de par l’influence souveraine du hard cash, de cette idole impassible, implacable, aux pieds de laquelle nous avons déjà vu tomber tant de victimes.

Il n’est pas surprenant que mistress Dodd, veillant de près sur les soins donnés à son mari, prenne à cœur les inconvéniens des deux premières maisons où elle l’a placé d’abord. La troisième se trouve être celle du docteur Wolf, celle même où est Alfred Hardie. Ce nouveau compagnon de captivité, dont la physionomie lui rappelle vaguement sa chère Julia, inspire bientôt à Alfred une sympathie bienveillante à laquelle répond l’inconnu, inscrit sous un nom qui n’est pas le sien. Nul souvenir distinct du passé n’a survécu chez David Dodd ; tout au plus, et c’est là sa chimère, se rappelle-t-il vaguement qu’il a navigué jadis et qu’il passait pour un « bon marin. » On voit que l’odeur et les brises de l’Océan lui manquent ; l’unique besoin dont il semble tourmenté, c’est de se retrouver à bord d’un navire, de s’élancer à la cime des mâts, de prendre part aux manœuvres cadencées, d’obéir au sifflet du contre-maître. Mistress Archbold, qui sait parfaitement à quoi s’en tenir sur le compte

  1. Pompier.