Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du nouveau-venu, se complaît à l’idée de rapprocher ces deux êtres que le sort lui a livrés ; elle éprouve une satisfaction dépravée à tenir sous la même clé le père et le fiancé de Julia. Parmi les tortures morales qu’elle veut infliger à ce dernier, une des plus poignantes sera d’avoir sans cesse sous les yeux, dans un état abject et séparé de lui par une barrière infranchissable, le père de celle qu’il aime. La cruelle matrone a de plus en réserve pour sa jalousie déjà excitée des aiguillons qui l’exaspèrent. Elle met Alfred exactement au courant des visites que mistress Dodd et Julia font à l’asile, et pendant lesquelles on a soin de l’éloigner sous prétexte de promenades hygiéniques. Or ces dames ne viennent pas seules ; un jeune ecclésiastique les escorte, et mistress Archbold ne ment pas lorsqu’elle le représente comme ayant des prétentions à la main de Julia. Elle pourrait même ajouter, sans trahir la vérité, qu’obsédée par les conseils de sa mère, lasse du silence d’Alfred, informée qu’il vit encore et ne sachant ce qui le retient loin d’elle, la jeune fille est sur le point de songer à un nouvel hymen. L’étude, qui pourrait par momens arracher le prisonnier à ses navrantes pensées, lui est soigneusement interdite ; on l’a privé de ses livres. Des gardiens, qui ont le mot d’ordre, se font un jeu d’opprimer devant lui ce Frank Beverley dont il s’est constitué le protecteur. Les élans de sa généreuse colère, les violences qu’elle lui dicte, passent pour autant de symptômes maladifs qui autorisent ses geôliers à redoubler de mauvais traitemens. Leurs rigueurs calculées, les nuits sans sommeil qu’ils lui font passer au milieu de fous furieux, les poisons déguisés qu’on le contraint d’avaler sous prétexte de remèdes, rentrent dans l’abominable plan conçu par mistress Archbold. Alfred comprend le péril et veut s’y soustraire à tout prix. De là une nouvelle tentative d’évasion que son habile persécutrice déjouerait encore sans l’intervention inattendue de Frank Beverley, qui, croyant servir les projets d’Alfred, met naïvement le feu aux quatre coins de Drayton-House. Alfred et son compagnon de chambre David habitaient les combles de l’édifice. Lorsque l’incendie éclate, ils sont enfermés et périraient infailliblement, si la brigade à laquelle appartient Edward Dodd n’arrivait en temps opportun sur le lieu du sinistre. L’intrépidité, le sang-froid, l’agilité du jeune fireman les tirent d’affaire, et à peine descendus dans la cour, à peine mêlés aux groupes dont elle est remplie, tous deux saisissent à l’envi l’occasion de fuir : Alfred, parce qu’il sait le prix de la liberté ; David Dodd, parce qu’il ne veut pas se séparer de son nouvel ami.

Le hasard, un vague instinct, les poussent du côté de Douvres. La sollicitude conjugale de mistress Dodd provoque aussitôt des recherches qui font retrouver la piste des fugitifs, elle-même court à