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Rome. Aussi s’empressa-t-il de la quitter, disant à tout le monde qu’il allait s’expliquer avec César ; mais il avait bien d’autres projets. Puisque Rome l’abandonnait, Cælius allait essayer de soulever l’Italie et de renouveler la guerre sociale. C’était une entreprise audacieuse, et cependant, avec l’aide d’un homme intrépide dont il s’était ménagé l’appui, il ne désespérait pas d’y réussir. Il y avait alors en Italie un ancien conspirateur, Milon, qui s’était fait redouter par ses violences pendant cette anarchie qui suivit le consulat de Cicéron. Condamné plus tard pour assassinat, il s’était réfugié à Marseille. César, en rappelant tous les bannis, avait excepté celui-là, dont il redoutait l’audace incorrigible ; mais, sur l’invitation de Cælius, il était revenu en cachette et attendait les événemens. Cælius alla le trouver, et tous deux écrivirent des lettres pressantes aux municipes italiens pour leur faire de grandes promesses et les exciter à prendre les armes. Les municipes restèrent tranquilles. Cælius et Milon furent bien forcés alors de se servir de la dernière ressource qui leur restait. Abandonnés par les citoyens libres de Rome et de l’Italie, ils s’adressèrent aux populations serviles, ouvrant les prisons d’esclaves et appelant à eux les pâtres de l’Apulie et les gladiateurs des jeux publics. Quand ils eurent, par ces moyens, rassemblé quelques partisans, ils se séparèrent pour tenter isolément la fortune, mais aucun des deux ne réussit. Milon, qui avait osé attaquer une ville importante défendue par un préteur avec une légion, fut tué d’un coup de pierre. Cælius, après, avoir essayé vainement de faire déclarer pour lui Naples et la Campanie, fut contraint de rétrograder jusqu’à Thurium. Là, il rencontra des cavaliers espagnols et gaulois qu’on envoyait de Rome, et comme il s’avançait pour leur parler et leur promettait de l’argent s’ils voulaient le suivre, ils le tuèrent.

Ainsi périt à trente-quatre ans cet intrépide jeune homme qui avait espéré balancer la fortune de César. Jamais plus vastes desseins n’eurent une fin aussi misérable. Après avoir montré une incroyable audace et formé des projets de plus en plus hardis à mesure que les premiers échouaient, après avoir en quelques mois essayé successivement de soulever le peuple de Rome, l’Italie, les esclaves, il mourut obscurément de la main de quelques barbares qu’il voulait porter à trahir leur devoir, et sa mort, survenue au moment où tous les yeux étaient fixés sur Pharsale, passa presque inaperçue. Qui oserait dire pourtant que cette fin, si triste qu’elle soit, n’était pas méritée ? N’était-il pas juste, après tout, qu’un homme qui avait toujours vécu d’aventures pérît comme un aventurier ? Ce n’était pas un politique achevé, quoi que prétende Cicéron ; il lui a manqué, pour l’être, d’avoir une croyance et de se dévouer à la servir. L’instabilité de ses sentimens, les inconséquences