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REVUE. — CHRONIQUE.

l’Inde, à la France, à l’Angleterre, à l’Italie. Sans être un livre suivi et disposé avec art, ces essais, dans leur désordre apparent, ont assurément une intime et manifeste unité, et sont le reflet d’une mâle intelligence. Notre siècle a vu naître ce genre de littérature qu’on connaissait à peine autrefois et qui a un caractère tout contemporain, qui n’est ni une œuvre longuement méditée, complaisamment et méthodiquement étendue, ni l’improvisation quotidienne du journal, mais qui participe des deux à la fois, résumant au besoin dans un cadre habilement resserré les élémens d’une œuvre complète et marchant au pas des préoccupations ou des événemens, plus rapide que le livre et plus substantiel que le journal. C’est comme un art nouveau qui condense souvent en quelques pages le résultat d’une patiente étude, et qui par sa nature va au plus pressé, rassemblant sous une forme saisissante les conflits d’une époque, les traits d’un personnage, les élémens saillans d’un problème de la vie morale ou intellectuelle. On ne sait pas quelquefois ce qu’il a fallu d’efforts pour arriver à cette concision qui expose un sujet en le resserrant, et qui veut être complet en s’imposant à chaque pas des limites, sans se perdre dans les détails languissans ou inutiles, en suppléant à tout par l’animation ou par la justesse. Lord Macaulay a été un des créateurs et il est resté un des premiers maîtres de l’essai. À côté de l’historien, il y a chez lui l’homme qui a tracé d’une main habile et ferme cette série de portraits et d’études, tableaux détachés pleins de force et de vie.

Nul écrivain contemporain n’a mieux réussi en effet à ranimer une époque en quelques traits, à faire revivre les émouvantes mêlées des passions et des opinions, à peindre une figure de l’histoire, à discuter une question de philosophie politique. L’Angleterre contemporaine lui doit quelques-unes des plus belles pages de sa littérature, tous ces portraits de lord Clive, de Hastings, de Temple, de lord Chatam, de Bacon, et ces morceaux sur les rapports de l’église et de l’état, sur les incapacités politiques des Juifs, sur les théories utilitaires en matière de gouvernement. À la France lord Macaulay a pris Mirabeau pour le peindre, à la Prusse Frédéric le Grand, à l’Italie Machiavel. Chacun de ces essais est un vrai tableau ou un traité plein de raison, de science, d’observation originale, d’éloquence, et quelquefois de passion. Lord Macaulay est assurément toujours anglican, et il ne peut s’en défendre : il a souvent les préjugés anglais, de même qu’il a la nature de talent le plus propre au grand pays dont il a été une des lumières ; mais c’est avant tout une raison puissante qui manie vigoureusement la discussion, qui s’impose par l’ascendant d’une sagace impartialité ; c’est un esprit essentiellement libéral, pour qui les luttes politiques, dans leurs dramatiques péripéties, n’ont de valeur ou d’intérêt que par leur rapport avec tous les progrès du droit et de la liberté. La vie politique n’est pour lui que le permanent et douloureux enfantement de la liberté humaine se dégageant de toutes les servitudes et s’étendant à tous. C’est la