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négocier des alliances de famille qui semblent être de nature à favoriser dans l’avenir l’exécution de ses desseins. Il marie sa sœur Louise-Ulrique à l’héritier du trône de Suède et fait épouser par l’héritier de Russie la future Catherine II. Il poursuit avec une ardeur opiniâtre la conclusion de ces deux mariages, du second surtout, par lequel, écartant du trône de Russie une princesse de la maison de Saxe, il prive d’un important appui la Pologne, où règne cette maison, et place à côté du grand-duc, déjà son admirateur et son ami, une jeune princesse allemande, âgée seulement alors de quatorze ans, et qui pourra devenir au profit de, sa politique un utile instrument[1]. L’époux de Catherine ne régna, comme on sait, que quelques mois de l’année 1762 ; ce fut assez cependant pour convenir avec le roi de Prusse d’un traité que déjà celui-ci sut diriger habilement contre la Pologne, et qui allait devenir le point de départ d’intrigues semblables contre la Suède. Pendant la guerre de sept ans, dont il n’était pas encore entièrement délivré, Frédéric II avait vu la Suède, entraînée par le parti des chapeaux, se déclarer contre lui, et la Pologne, en dépit d’une prétendue neutralité, offrir des étapes et des magasins aux troupes russes qu’il combattait. La Pologne séparait d’ailleurs ses possessions de Brandebourg et de Prusse, et le maintenait, quoi qu’il fît, dans une faiblesse irrémédiable. Courant au plus pressé et remettant à un bref délai ses projets contre la Suède, il donna dans son traité avec Pierre III le premier exemple de cette politique perfide qui consistait à imposer, dans les pays voués à la ruine, les institutions les plus anarchiques, puis, sous le prétexte d’une fausse protection, à les garantir, d’accord avec quelque royal complice, pour susciter enfin des guerres civiles autorisant une intervention funeste : politique analogue à celle de l’ancien sénat romain, mais plus haïssable, parce qu’en des temps chrétiens elle était plus éhontée. La mort violente de Pierre III empêcha la ratification de l’acte auquel déjà Frédéric II avait apposé sa signature. Cet acte contenait l’engagement de ne jamais permettre que la couronne de Pologne pût devenir souveraine ni héréditaire,

  1. Que dire du bizarre témoignage que je rencontre dans les dépêches adressées par le comte de Werthenv, envoyé de Saxo à Paris, au comte de Sacken, ministre des affaires étrangères à Dresde ? De quelles conversations ou de quels pamphlets, que je n’ai pu retrouver encore, le diplomate allemand se fait-il l’écho ? « 16 septembre 1780. On n’ignore pas que l’impératrice de Russie passe pour être la fille du roi de Prusse, qui, lorsqu’il s’échappa de la cour de Berlin (en 1729, il avait dix-sept ans), alla à celle de la princesse d’Anhalt, et s’y trouva précisément neuf mois avant la naissance de la Sémiramis du Nord. Aussi le système de la cour de Russie changea-t-il entièrement lorsqu’elle prit les rênes du gouvernement, et les sentimens de la nature, fortifiés par l’intérêt, semblent rendre inaliénable la liaison qui subsiste entre elle et Frédéric. » (Archives royales de Dresde.)