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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/860

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possible, en fortes barrières. Habile à ne pas confondre le domaine purement politique et le domaine religieux, elle n’avait pas répudié les engagemens d’une communauté réelle d’intérêts avec des puissances protestantes ou même non chrétiennes ; elle avait ainsi contracté depuis longtemps une alliance avec la royauté suédoise et même avec la Porte-Ottomane, qu’unissaient la crainte d’un même danger du côté de l’Orient et un besoin pressant de diversions mutuelles. Le duc de Choiseul, dès son entrée au ministère, reprit ces deux héritages du XVI et du XVIIe siècle ; en même temps qu’il continuait l’alliance conclue avec l’Autriche et qu’il formait une intime union entre les différentes branches de la maison de Bourbon, il voulut rendre plus efficace l’ancienne solidarité de la France avec le cabinet de Stockholm, et la coopération de la Suède fut plus que jamais le levier à l’aide duquel la politique française prétendit maintenir dans cette partie de l’Europe sa propre influence. C’était surtout, dans les relations diplomatiques entre les deux pays, une sage direction qui avait manqué. Le duc de Choiseul comprit que le cabinet de Versailles s’était engagé dans une voie mauvaise en s’attachant à l’un des partis qui divisaient la Suède. Après avoir prodigué des sommes énormes pour assurer le triomphe de ce parti, on avait vu le parti contraire faire alliance avec la Grande-Bretagne en 1766, et on avait pu se persuader que la Suède, de plus en plus affaiblie par l’anarchie et la corruption, deviendrait absolument incapable de rendre aucun service. Le duc de Choiseul résolut de suivre une autre conduite, d’abandonner à leur propre sort les anciens partis des chapeaux et des bonnets, dont l’avilissement et l’impuissance s’étaient montrés au grand jour, et de créer autour de la famille royale de Suède un parti royaliste. On pouvait déjà compter sur quelque assentiment de la part de cette famille, dans laquelle même le jeune prince qui devait être Gustave III s’offrait comme un intelligent allié. C’est pour développer ces vues et pour inaugurer ce système que le duc de Choiseul écrivit de Versailles au baron de Breteuil, en date du 22 avril 1766, une longue dépêche que Flassan[1] a rapportée, et dont il dit avec raison que c’est une pièce des plus importantes dans l’histoire de notre diplomatie. La France avait fait une faute, disait le ministre, en soutenant en Suède les efforts d’un parti pour enchaîner la puissance royale et constituer « une administration métaphysique, » praticable seulement si tous les Suédois s’étaient trouvés « aussi sages d’esprit et de mœurs que pouvait l’être Platon. » On avait de la sorte ruiné la nation elle-même, au lieu d’en faire une utile alliée ; la guerre de 1741-1743

  1. Dans son Histoire de la Diplomatie française, t. V, p. 463.