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fut venu, elle consulta ses dieux, et, les présages ayant été favorables, elle chargea sa fille d’aller à la Nouvelle-Zélande raconter à Ngatoro’ ce qui s’était passé.

La jeune fille, accompagnée de sa tante Haungaroa et de trois autres femmes, n’hésita pas à entreprendre ce voyage, d’autant plus périlleux qu’elle n’avait pas de canot. Les dieux qu’elle avait dérobés à la tribu, et qu’elle emportait, « lui servirent à traverser la mer[1]. » Ces dieux devaient être pour les colons qu’elle allait rejoindre un don précieux, « car les premiers canots qui avaient quitté Hawaïki pour la Nouvelle-Zélande n’avaient emporté aucune divinité protectrice des hommes : ils n’avaient pris que celles qui veillent sur les patates douces et les poissons[2] ; mais leurs chefs possédaient les prières, les charmes, la connaissance des enchantemens, toutes choses qu’ils gardaient dans leur esprit, car on les apprend par cœur en se les transmettant de l’un à l’autre[3]. » On comprend néanmoins de quel prix devaient être pour ces hommes superstitieux les dieux apportés de la mère-patrie. La jeune et hardie voyageuse le savait bien ; aussi, une fois arrivée à la demeure de son oncle, ne voulut-elle pas « passer par le guichet, comme une personne ordinaire, mais elle escalada les montans de la porte, entra dans la forteresse en franchissant les palissades[4], alla tout droit à la maison de Ngatoro-i-rangi et s’assit sur le siège sacré réservé au prêtre-chef. » Celui-ci, prévenu par un de ses serviteurs de ce qui venait de se passer, reconnut que cette hardie étrangère ne pouvait être que sa nièce. Il se rendit aussitôt auprès d’elle, la conduisit devant l’autel et en reçut les dieux qu’elle avait apportés d’Hawaïki ; puis la tribu entière se purifia et accomplit diverses cérémonies ayant pour but d’annuler l’effet de la malédiction lancée contre eux par Manaïa, malédiction que Ngatoro’ lui rendit en s’écriant : « Ta chair sera cuite avec des pierres apportées de Makétu. »

Dès le lendemain, on se mit à la recherche d’un arbre propre à construire un canot, et ce fut la fille de Kuïwaï[5] qui le découvrit.

  1. Il faut sans doute entendre par la que ces femmes hardies firent le voyage dans une petite embarcation, et non dans un de ces grands navires dont la tradition a conservé les noms.
  2. On retrouve ici cette spécialité des dieux que nous avons signalée d’après M. Mœrenhout dans la théologie des Tahitiens.
  3. Ce passage rappelle encore ce qui se passait à Tahiti parmi les initiés et les harepo.
  4. Cette description de la demeure de Ngatoro’ est conforme aux détails donnés sur les forteresses du même genre par tant de voyageurs.
  5. Il est assez étrange que la tradition n’ait pas conservé le nom de cette jeune fille, tandis qu’elle nous a transmis ceux de sa mère et de sa tante.