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Chaque pays veut avoir son « Athènes. » L’Amérique anglo-saxonne montre la sienne en Boston ; le continent colombien se vante d’en avoir plusieurs, parmi lesquelles deux principales, l’une au midi, l’autre au nord, Buenos-Ayres et Bogota. Le contraste est grand entre ces deux métropoles littéraires, qui furent aussi avec Caracas les foyers de la liberté colombienne pendant la guerre de l’indépendance. La capitale de la république argentine est une cité considérable renfermant des milliers d’Européens et maintenant d’incessantes relations avec l’ancien monde par ses paquebots et ses navires. Située sur la rive d’un fleuve qui recevrait ailleurs le nom de mer, elle garde l’entrée de la pampa sans bornes à travers laquelle bondissent les chevaux sauvages. À Buenos-Ayres viennent se rencontrer les marins de tous les pays, les gauchos nomades et toujours en selle. Là aussi retentissaient naguère les bruits d’une terrible guerre civile qui pendant de bien longues années ensanglanta les rues et les campagnes. Toutes ces choses, la nature physique du pays, l’origine de la population, l’état général de la société, ont exercé une influence décisive sur la riche littérature des Argentins. Tout ce qui chez eux n’est pas imitation de travaux étrangers, mais œuvre sincèrement originale, se distingue par la libre allure et l’animation du style, par la franchise de la pensée. Leur poésie lyrique semble tirer ses principales inspirations de l’ardeur guerrière et de la passion du mouvement, elle est comme avide de lutte et d’espace ; mais souvent aussi elle est pleine de tristesse, car ce fut principalement sur les hommes qui se permettaient de penser et d’écrire que pesa la tyrannie de Rósas. Les Mitre, les Echeverría, les Ascasubi, les Mármol chantent les longs voyages sur la mer ou dans la plaine, les courses effrénées du gaucho ; mais ils racontent aussi la douloureuse histoire des partis, les horreurs de la prison et les drames sanglans du champ de bataille. Dans la Bande orientale ou république de l’Uruguay, les poésies de Gómez, de Figueroa, de Hidalgo, de Magariño Cervantes, offrent les mêmes caractères d’audace aventureuse et de tristes retours. C’est que Montevideo ressemble à sa rivale Buenos-Ayres, qu’elle regarde à travers l’immense estuaire de la Plata. Comme cette ville, elle touche à de vastes plaines que parcourent librement les troupeaux ; comme Buenos-Ayres, elle est le rendez-vous des gauchos, des Basques émigrés et des commerçans venus de tous les pays ; enfin elle aussi a dû subir la tyrannie militaire et tous les malheurs des sièges et des révolutions.

À Bogota, « l’Athènes néo-grenadine, » la nature extérieure offre un contraste absolu avec celle de Buenos-Ayres ; les conditions sociales sont aussi complètement différentes, et la littérature de cette partie