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de la Colombie se distingue en conséquence par des caractères nettement tranchés. La ville de Bogota, reléguée à une grande distance de la mer et parfois séparée entièrement du monde civilisé par des bandes ennemies, est plus réduite à ses propres ressources que ne l’est peut-être aucune autre capitale. Les émigrans d’Europe ne viennent pas grossir le chiffre de sa population, elle importe seulement une petite quantité de marchandises, et ce n’est guère que par l’échange des idées qu’elle peut maintenir ses rapports avec l’ancien monde. Heureusement la nature environnante offre comme un résumé de la terre entière dans son ensemble d’une incomparable harmonie. La ville occupe une position des plus belles sur une terrasse aussi élevée que le sont les cimes de nos Alpes. Des hauteurs on peut embrasser d’un regard les volcans neigeux et fumans, les chaînes de montagnes aux zones de végétation superposées, les grandes forêts vierges et les longues traînées de nuages qui s’étendent sur les plaines. Un reflet de cette nature grandiose se trouve certainement dans les productions des auteurs néo-grenadins, Arboleda, Caro, Madiedo, Vargas Tejada. Philosophes et poètes, ils font planer leur pensée au-dessus des continuelles discordes qui agitent leur patrie ; leur parole est forte et contenue, et dans leurs chants passe un souffle épique.

De même que Buenos-Ayres, les grandes villes du Chili sont en continuelles relations de commerce avec l’ancien monde et l’Amérique du Nord. Le peuple chilien est, de tous ceux de la Colombie, celui qui ressemble le plus aux peuples européens. La race des blancs d’origine espagnole y est à peine mélangée de sang indien et africain ; les mœurs, les institutions, encore assez aristocratiques, offrent une certaine analogie avec celles de l’Angleterre ; enfin la nation s’est lancée avec ardeur dans la voie des améliorations matérielles. Le climat et les produits agricoles du Chili ressemblent aussi à ceux de l’Europe tempérée. Il ne faut donc pas s’étonner de voir la littérature chilienne se modeler facilement, sans efforts d’imitation, sur les littératures de l’Espagne, de la France, de l’Angleterre. Du reste, le Chili, qui compte parmi ses poètes des hommes éminens, tels que Matta, Blest Ganá, Lillo, Sanfuentes, brille surtout par ses savans, ses économistes, ses financiers. Parmi les républiques de l’Amérique espagnole, il a son contraste le plus frappant dans le Venezuela, ce pays si remarquable par sa pléiade de poètes lyriques. Ce contraste s’explique facilement. Moins commerçante que le Chili et malheureusement beaucoup plus agitée par les révolutions, la république vénézuélienne a l’avantage que lui donnent son beau climat tropical, ses côtes baignées par la mer des Antilles, ses admirables vallées, ses hauts plateaux et la poétique