Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/968

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le ciel au vaste azur, la nuit aux feux sans nombre,
Et les bois verdoyans pleins de lumière et d’ombre,
Enfin tout ce qui brille en ce monde de beau
N’était que l’ornement d’un éternel tombeau.
Alors te survenaient de longues défaillances,
Des découragemens et des désespérances !
Alors tu te disais tristement : A quoi bon
Dans un ordre pareil se mettre à l’action ?
À quoi bon épeler le mot fameux de gloire
Devant l’éternité, gouffre de toute histoire ?
À quoi bon animer même du feu d’amour
De fragiles humains qui ne vivront qu’un jour ?
L’infini, l’infini par sa masse de choses,
Ses compositions et ses métamorphoses,
Écrasait ton esprit, et tu ne pouvais pas
Concevoir, en foulant la terre sous tes pas,
Que l’appréciateur de tes charmes,
Cybèle, N’eût pas, comme toi-même, une vie immortelle,
Et, toujours entraîné vers l’horizon sans fin,
Tu voulais l’embrasser… avec des bras de nain !

Obermann, Obermann, ta course dans la vie
Était celle d’un cœur ardent, mais qui dévie ;
Le sentier que prenaient tes désirs était faux.
Comme cette beauté, l’amoureuse d’Éros,
Que d’antiques esprits peignirent malheureuse
D’avoir voulu, superbe et par trop curieuse,
Lever imprudemment le voile de l’amour,
De même, audacieux pèlerin, à ton tour
Tu plongeas le regard au fond de tes délices,
Et tu ne rapportas comme elle que supplices
De ta vue inquiète… O penseur plein d’émoi,
Il te fallait jouir sans chercher le pourquoi,
Aimer, toujours aimer ; amour t’eût fait comprendre
Mieux que raison le point que tu voulais entendre,
Car, quel que soit l’esprit et sa vive lueur,
Le sens de l’infini n’existe bien qu’au cœur.

Ah ! tu la reconnus, cette vérité sainte,
Le jour où tes deux pieds marquèrent leur empreinte
Dans la vieille Helvétie, aux neiges du Sanez,
Sous l’ombre des hauts pics de glace couronnés ;
Solitaire marcheur, tu rencontras un homme
Que la fatigue avait saisi d’un mauvais somme,