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fontaines paraît avoir été disposée et ornée de manière à former un monument qui ne devait manquer ni d’originalité ni de noblesse. À côté de l’entrée du souterrain se trouve une grotte qui était sans doute consacrée à la nymphe de la source ; on y voit encore une petite niche qui renfermait vraisemblablement une statuette. Tout près de là, dans un amas de débris, nous trouvâmes les restes d’un entablement, des moulures ioniques bien exécutées et du meilleur goût. À l’aide de ces fragmens, il est aisé de se représenter, en dehors de la grotte et devant l’aqueduc, une façade élégante où étaient ménagées avec art l’entrée du sanctuaire et l’ouverture par où l’eau s’échappait. À droite et à gauche, le rocher, taillé à pic, paraît avoir reçu un revêtement de marbre.

La petite plaine qui occupe le fond du golfe de Kissamos et qui formait autrefois la banlieue de Polyrrhénie a gardé le nom tout grec de Mésogée. Le cap Corycos, dont les âpres montagnes la bornent à l’ouest, est horriblement nu et décharné : aucun village ; de route, point. Un détestable sentier où, même avec des mulets, il faut souvent mettre pied à terre, conduit en face de la petite île où se trouve Grabuse, château qui joue un grand rôle dans l’histoire des guerres de Venise contre les Turcs et des luttes récentes de l’indépendance grecque. Le pas le plus dangereux, c’est un endroit connu dans le pays sous le nom de Kaki-Scala, mot à mot le mauvais escalier, de grands murs d’une belle roche rouge tombent à pic dans l’eau profonde et bleue ; de quelque distance, à peine croirait-on qu’une chèvre ou un écureuil pût, en s’accrochant aux anfractuosités de la pierre, trouver une route parmi ces escarpemens, et pourtant hommes et mulets y passent ; comment ? on ne sait trop, mais ils y passent. Tout dans ce lieu est étrange et saisissant, la couleur du roc, sa forme bizarre et tourmentée, ses saillies sans nombre et ses pointes aiguës, l’idée enfin qu’il suffirait d’un faux pas pour tomber dans l’abîme, sans espoir de salut.

Les îles Grabuses et la côte qui leur fait face ne forment pas un site moins frappant. L’ensemble est dominé par le cône effilé du mont Corycos, gris, sombre et nu ; au nord et au sud se prolonge une haute et menaçante falaise. Les petites îles, peu éloignées de la terre, dont est semée la mer, ne sont que d’arides rochers, partout taillés en précipice, qui se dressent au milieu des flots, comme d’énormes citadelles. L’une des plus petites est celle même qui renferme la célèbre et presque imprenable forteresse que les Vénitiens conservèrent jusqu’en 1696, quand ils avaient perdu Candie depuis 1669. On n’y peut descendre que d’un seul côté, et du débarcadère jusqu’à la plate-forme qui porte le château il faut encore gravir une pente raide où la défense a beau jeu. Entre le rivage et l’île, le