Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/984

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

péribole et de la cella d’un temple auprès duquel se trouvent plusieurs inscriptions en l’honneur de divers empereurs romains, une entre autres consacrée à Hadrien ; mais ce que Polyrrhénie nous a laissé de plus intéressant, ce sont sans contredit ses aqueducs. La ville, sur la hauteur où elle s’était établie, manquait d’eau ; le torrent qui coule au fond de la vallée était trop loin, et d’ailleurs les premiers soleils de l’été suffisaient à le dessécher. Pourtant, lorsque la ville fut devenue riche et populeuse, il était difficile de se contenter des citernes, comme avaient dû faire les premiers habitans. Quand on n’a d’autre eau que celle d’une citerne, on est forcé d’en être toujours avare ; on ne boit point sans une certaine inquiétude, et l’on éprouve presque des remords chaque fois qu’on se lave les mains. C’est qu’une fois le réservoir vide, la pluie seule peut le remplir, et en Crète, comme dans l’Attique, une fois le printemps venu, qui sait quand il pleuvra ? On voulut donc avoir de l’eau courante, une fontaine où les femmes pussent emplir sans crainte, vers la chute du jour, leurs larges amphores, et le matin laver la laine à grand bruit, un abreuvoir où les pâtres menassent leurs troupeaux boire à longs traits. On trouva une source sur le flanc septentrional de la montagne dont l’autre versant portait, bâties en amphithéâtre, les maisons de Polyrrhénie ; on perça la montagne, et l’on conduisit l’eau au sud de la ville. Il y a deux aqueducs creusés dans la roche vive, qui se trouvait être heureusement un tuf calcaire assez tendre ; l’un a 1 mètre 35 de large sur 2 mètres 30 de haut, l’autre est de plus petites dimensions. Ils ont d’ailleurs perdu l’un et l’autre de leur élévation par suite des nombreux dépôts qu’y a formés le travail des siècles. Le plus grand paraît aussi le plus soigné : il est divisé intérieurement en deux parties, une rigole où court l’eau, et un couloir où peut commodément circuler l’ouvrier chargé d’inspecter le conduit et de le maintenir en bon état. Plusieurs paysans m’affirmèrent avoir pénétré très avant dans l’aqueduc, et y avoir marché plus d’une heure sans rencontrer d’obstacles et sans arriver à la source. Il paraît, d’après leurs dires, qu’il y a de place en place des espèces d’auges creusées dans le roc sur le passage de l’eau ; elles étaient destinées sans doute à la faire reposer et à l’aider ainsi à se débarrasser du sable et des matières étrangères qu’elle pouvait tenir en suspension. La source, maintenant même, ne tarit jamais, et c’est encore elle qui fait vivre l’humble hameau, bâti des débris de la grande et fière cité.

Les Polyrrhéniens ne paraissent pas s’être contentés d’avoir atteint leur but principal en approvisionnant leur ville d’eau courante et en assurant, par de sages précautions, l’entretien des conduits. Comme aux autres Grecs, il ne leur suffisait pas qu’un ouvrage fût utile, ils voulaient encore qu’il fût beau. L’une au moins des deux