Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/987

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en monceaux sur la plage. C’étaient des articles de Paris, rubans, gants et chapeaux destinés aux élégantes de Smyrne et de Péra ; comme on n’en était point encore venu, sur l’îlot de Grabuse, à suivre les modes françaises, tout cela restait sur la plage, en attendant que l’on trouvât à écouler sur quelque marché complaisant tous ces fruits de sanglantes rapines. À côté de ballots de soieries gisait à terre tout un chargement de papier ; mais à Grabuse que pouvait-on faire de ce papier, sinon des bourres de fusil ?

Quand les Anglais débarquèrent dans l’île, toutes ces marchandises furent séquestrées, et l’on annonça, par l’intermédiaire des consuls, dans les principaux ports de la Méditerranée, que tous les négocians dont les navires avaient été pillés pouvaient faire reconnaître et enlever ce qui leur appartenait. Bien peu se présentèrent ; déjà beaucoup de ces pertes remontaient à plusieurs mois, à une année, et ceux qui les avaient subies en avaient pris leur parti. On laissa les choses en l’état pendant assez longtemps ; bien des objets se gâtèrent en attendant leurs maîtres, d’autres furent soustraits, et peu à peu, sans que l’on sût trop comment, les magasins se vidèrent. On avait livré tout le papier au gouvernement grec, qui dès lors, avec Gapodistria, commençait à être grand faiseur de décrets, à user beaucoup d’encre dans ses bureaux.

Après avoir donné un coup d’œil à Grabuse, si on continue à suivre, en marchant vers le sud, cette côte âpre et déserte, on rencontre bientôt des ruines antiques. Ce sont celles d’une ancienne cité souvent mentionnée dans les vieux auteurs, Phalasarna. Toute située qu’elle fût sur le continent, Phalasarna devait être presque aussi inexpugnable que Grabuse même dans son île. La ville occupait un plateau fort inégal qui surmonte une haute masse de rochers serrée entre la mer et une petite plaine. Du côté de la mer, elle était inaccessible dans toute la force du terme. Ce sont de prodigieuses falaises où trouvent seules à prendre pied les colombes qui font leur nid dans les trous du rocher, et qui au moindre bruit s’élèvent et tourbillonnent par volées. Du côté de la terre, Phalasarna n’était guère moins bien défendue. Elle était d’abord couverte dans la plaine, à peu de distance du pied de la hauteur, par une double muraille flanquée de tours carrées. À peu de distance en arrière de cette enceinte se dresse le rocher, qui n’offre nulle part d’accès, hors peut-être à des chèvres. En un seul endroit, une pente assez raide encore, mais qui permet pourtant l’ascension, conduit à une dépression, à une sorte de large brèche qui coupait la ville en deux. De là, deux escaliers, à demi taillés dans le roc même, à demi formés de blocs rapportés, conduisaient aux deux plates-formes qui portaient les édifices et les maisons. Il reste encore des traces de ces degrés, quoique la suite en soit interrompue. Pour arriver jusqu’en