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haut, bien que personne ne s’opposât à notre marche, et que nous eussions même, pour nous donner la remorque, un paysan agile comme un chamois, nous faillîmes dix fois nous casser les reins. On se demande, au terme de cette ascension, non pas comment l’ennemi pouvait s’emparer d’une pareille cité, — il semble qu’il n’ait jamais dû songer même à le tenter, — mais comment les habitans faisaient pour en sortir. Pour qu’une population riche, active et policée comme celle qui a laissé en ces lieux des traces de son long effort, se soit résignée à vivre ainsi pendant des siècles entre ciel et terre, pressée sur l’étroit sommet de ces âpres rochers qui ne semblent faits pour servir de demeure qu’aux aigles et aux vautours, il faut que l’état social de l’île ait été bien troublé, que la paix et la sécurité n’aient jamais réussi à s’y établir d’une manière durable. Ce qui devait encore ajouter à la gêne d’un pareil séjour, c’est que Phalasarna devait manquer d’eau. Ce fut la soif qui nous chassa de ces parages. Il nous fallut beaucoup peiner dans le sable du rivage pour trouver, assez loin déjà de ces ruines étranges, une petite source qui sort goutte à goutte du pied d’un rocher tout tapissé de mousse. Au-dessus étendent leurs branches deux courts et larges figuiers qui semblent vouloir rester le plus près possible de terre pour mieux faire respirer à leur feuillage altéré l’humide fraîcheur de la fontaine.

Toute la contrée qui entoure Phalasarna est encore nue, aride et triste, comme la pointe nord-ouest de l’île, tandis qu’à quelques lieues plus loin, vers le sud, on entre dans un district connu sous le nom d’Enia-Choria, mot à mot les neuf villages, qui est tout plein de bois et d’eaux courantes, mais où ne se rencontre presque aucun vestige vraiment antique ; c’est qu’aux populations qui avaient élevé en Crète les premières cités, le choix des emplacemens où elles s’établirent avait été dicté non par l’agrément des lieux et la fertilité du- sol, mais par la constante préoccupation de se protéger contre un voisin qui était toujours un ennemi, par les impérieuses nécessités de la guerre et de la défense. C’est pourtant un bien charmant pays que tout ce district d’Enia-Choria ! Il est doux, au sortir de ces rochers échauffés par le soleil et de ces sables stériles, de cheminer tout d’un coup à l’ombre entremêlée des oliviers, des platanes, des châtaigniers, parmi de bruyans ruisseaux d’où s’exhale une forte odeur de menthe sauvage. Ce qui, pour les habitans actuels de la Crète, distingue entre tous ce canton, ce sont les forêts de châtaigniers dont il est couvert ; cet arbre précieux ne se rencontre que très rarement dans tout le reste de l’île. Il atteint ici, surtout auprès du village d’Elos, qui a gardé un vieux nom hellénique, des dimensions qui nous frappèrent. De tous les sites ravis-sans qui s’offrirent à nous pendant les deux jours que nous passâmes