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et dans tout Askyfo il n’y a qu’un olivier, que l’on montre comme une curiosité. Le blé n’y vient pas bien ; on n’y cultive que de l’orge et des vignes. Ici, comme dans toute la province de Sfakia, les habitans sont tous Grecs, ils habitent six villages répandus dans la plaine auprès des hauteurs ; mais ces villages sont presque abandonnés pendant l’hiver. La plupart des Askyfiotes ont des maisons et des oliviers sur le littoral, et y descendent vers la fin d’octobre. Les quelques familles qui n’émigrent pas doivent avoir soin de faire à l’avance toutes leurs provisions et de prendre toutes leurs mesures pour se suffire à elles-mêmes pendant un assez long temps ; elles restent quelquefois pendant plus de six semaines sans communication possible avec le reste du monde. Le chemin qui d’Askyfo conduit vers la côte méridionale a en effet le même caractère que celui qui descend vers La Canée. On sort de la plaine vers le sud en franchissant une sorte de col au-delà duquel on entre dans un étroit défilé qui est connu sous le nom de la gorge d’Askyfo, tou Askyphou to pharanghi. Pendant deux heures, on y chemine péniblement dans le lit desséché du torrent, sur des pierres polies par les eaux. Il est bien entendu qu’il faut mettre pied à terre ; les mulets glissent plutôt qu’ils ne marchent sur le roc lisse et sonore qui retentit sous leurs sabots.

On peut voir ailleurs des vallées plus profondes, dominées par de plus hautes cimes, par de plus effrayans précipices ; mais je doute que l’on rencontre nulle part un défilé plus resserré. Ce n’est plus, à proprement parler, une vallée, mais une fente creusée par l’effort séculaire du torrent ; dans la masse compacte du rocher il y a des endroits où, en étendant les bras, on peut toucher à la fois les deux parois opposées. Pendant près d’une lieue, la largeur moyenne de cette brèche ne dépasse pas 4 ou 5 mètres ; à une demi-heure seulement du rivage, les murailles s’écartent, et l’on avance un peu plus à l’aise. Ce qui ajoute à l’effet de cette gorge, c’est la grâce étrange de la verdure qui, dans ces humides profondeurs, se cramponne à toutes les fentes du rocher ; il y a des endroits où les figuiers sauvages pendent au-dessus de nos têtes, jettent et croisent leurs branches d’un bord à l’autre, et forment comme un plafond au sombre et tournant couloir. Ailleurs, dans les endroits où le défilé s’ouvre et s’élargit un peu, des cyprès et des pins garnissent les grandes pentes qui descendent au torrent. L’impression est profonde quand tout d’un coup, au sortir de cette gêne et de cette obscurité, la mer vous apparaît avec ses flots étincelans, avec ses îles perdues dans une brume légère et transparente, avec son horizon immense, au fond duquel l’imagination cherche et l’œil croit entrevoir la lointaine Afrique.

En approchant du rivage, on trouve la petite plaine de Franco-Casteli