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cuivre et savent même raffiner ces deux métaux. L’or et l’argent, le cristal de roche et les pierres précieuses ont été connus de tout temps à Madagascar, et ne peuvent manquer de tenter un jour les chercheurs aventureux, sur lesquels n’auraient aucun attrait les paisibles travaux de l’agriculture, les occupations purement maritimes ou commerciales. L’or et l’argent! ces deux métaux ont seuls permis la colonisation de l’Amérique par les Espagnols, et plus récemment la soif de l’or n’a-t-elle pas seule aussi conduit des milliers de colons en Californie et en Australie? L’or ! voilà l’unique et grand mobile qui peut entraîner les masses vers les pays lointains, et il faut espérer que la découverte de riches placers aurifères ou gemmifères détournera bientôt le courant sur Madagascar. Ces placers d’ailleurs sont déjà soupçonnés dans la grande île, dont la ressemblance de certaines roches avec celles du Brésil a frappé plus d’un géologue.

N’oublions pas qu’il suffit de quelques milliers d’émigrés intelligens et industrieux pour donner naissance à de puissantes colonies. Combien étaient les puritains quand ils débarquèrent en Amérique? combien les Français qui fondèrent le Canada? L’élément indigène entre toujours pour une très grande part dans la formation des colonies. Le blanc n’apporte le plus souvent que son capital, son industrie, son activité, son savoir. L’indigène fait presque tout le travail manuel. Le vaste empire indo-britannique ne renferme guère que 125,000 Anglais, dont plus des deux tiers sont des soldats, et il lui reste au plus 40,000 civilians. De même, quelques milliers d’Européens suffisent en Égypte pour tirer de ce magnifique pays, par la grande industrie et le commerce, des profits que, livrés à eux-mêmes, les Arabes n’auraient jamais rêvés. L’expérience de ce que peut, en fait de colonisation, le génie français abandonné à ses seules forces mériterait donc d’être tentée sur Madagascar. Il faudrait seulement laisser la plus grande liberté aux planteurs et aux traitans. Déjà quatre ou cinq cents Français répandus sur toute l’île, protégés par leur seul courage, font plus d’affaires que tous les colons que le gouvernement de la métropole essaie d’appeler à grands cris en Cochinchine ou dans la Nouvelle-Calédonie en les couvrant de son égide. C’est par la liberté que s’épurent les grandes nations et que se fondent les nouvelles. Que ce mot de liberté, aujourd’hui si souvent prononcé, ne le soit pas plus longtemps en vain, et si la compagnie de Madagascar reprend ses projets sur la grande île, objet de ses premières tentatives, peut-être s’assurera-t-on dans une occasion solennelle de ce que la France peut attendre d’une entreprise coloniale librement conçue et librement exécutée.


L. SIMONIN.