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premier ministre… Je souhaiterais que tout cela pût s’arranger… Jenkinson prétend qu’elle est jolie, mais il ne s’y connaît pas… Il est de mon avis quant au jeune homme… Voyons, que dites-vous ?… Parlez plus haut !… Avec l’argent de ma fille, il aura le monde à ses pieds ; sans cet argent, il ne sera jamais qu’un chercheur de places… Ne regrettez pas miss Cecil !… Jamais son père n’a songé à vous la donner… On s’est joué de votre pauvre garçon ; mais, s’il épouse Eleanor, il aura de quoi prendre sa revanche contre cinquante Mewstone… Voyez cela,… voyez… Bonne nuit !…

Ainsi se termina cette carrière dont nous avons esquissé les brillans débuts. George Hilton s’endormit effectivement, et né se réveilla que « pour en finir. »

Si l’on veut bien songer qu’Austin avait été dès le berceau façonné à l’ambition politique, on se rendra peut-être compte de l’effet qu’avaient produit en lui ces deux phrases : « enrichi par elle, il sera premier ministre, » et : « s’il épouse Eleanor, il aura de quoi prendre sa revanche contre cinquante Mewstone. » Elles tintaient continuellement à ses oreilles et parlaient à ses plus énergiques instincts. Par cela même que la tentation était forte, il s’en méfia cependant, et, quinze jours après les funérailles de M. Hilton, ses amis auraient pu le voir, non sans quelque orgueil, galoper dans la direction d’Esher, qu’habitait alors l’héritière en deuil, pour lui notifier, avec tous les égards dus à l’amitié, qu’il entendait bien ne l’épouser jamais.

Ce fut le vieux James qui vint lui ouvrir la porte, — un ancien serviteur blanchi au service de M. Hilton, et qui tout enfant avait assisté, lui aussi, à la prise de la Bastille. Quand il reconnut Austin, son visage ridé s’illumina d’un sourire. — Vous arrivez bien, lui dit-il avec un regard d’intelligence ; ils ne vous verront pas,… ils sont du côté des écuries.

— De qui parlez-vous ? demanda Austin, égayé par cette mystérieuse apostrophe.

— De qui parlerais-je, si ce n’est de la tante et du capitaine Hertford ?…

Jamais, par parenthèse, le valet de chambre émérite ne prononçait le nom de miss Maria Hilton, la tante d’Eleanor. Toute formule de respect répugnait à l’aversion qu’il lui avait vouée.

— Ah ! diable ! pensa Austin. Et qui est le capitaine Hertford ? demanda-t-il ensuite avec une feinte curiosité.

— Le même que vous avez rencontré il y a quinze jours dans le pays de Galles, quand vous vous fûtes épris de miss Cecil, le même qui vous accompagna au retour et à qui vous fîtes si adroitement vos confidences… Soyez tranquille, elles n’ont pas été perdues…