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sur sa route, quand des fanatiques lui avaient reproché d’avoir fait connaître les racines comestibles qui poussent dans le Nord à l’état sauvage : il ne convenait pas, à leur avis, de contrarier les jugemens de Dieu, à qui il pouvait plaire de châtier par la famine les péchés des hommes. Un autre contemporain affirme que lorsqu’on institua pour la première fois en Suède, sur l’ordre des états, le bureau de statistique, des consciences timorées craignirent pour la nation tout entière le châtiment que David attira jadis sur son peuple quand il en ordonna le dénombrement. De pareils témoignages doivent servir à faire mesurer la valeur des efforts que tentaient des patriotes comme Alströmer.

Son infatigable ardeur ne connut pas de limites une fois les premiers obstacles vaincus : il introduisit en Suède la culture du tabac, perfectionna par les procédés anglais la fabrication du fer, multiplia les raffineries de sucre, raviva la construction maritime et la marine marchande nationale, en faisant adopter une législation qui rappelait le fameux acte de navigation de Cromwell. Ses efforts contribuèrent à faire conclure avec la France (25 avril 1741) une convention qui resta pour un long temps le seul acte réglant les rapports commerciaux des deux pays. L’Angleterre avait été la première à comprendre quelles richesses contenait le sol de la Suède ; elle avait envoyé ses spéculateurs s’emparer de l’exploitation des mines, et bientôt, à la faveur de ces relations nouvelles, elle avait attiré dans sa marine beaucoup de matelots suédois. Averti par cet exemple et par le spectacle de l’activité qui régnait dans le Nord, le gouvernement français prit l’éveil, rechercha des liens plus étroits avec la Suède, et obtint la franchise du port de Wismar pour ses marchandises et denrées, avec des conditions égales pour ses armateurs à celles des nations les plus favorisées. C’est Jonas Alströmer qui, en faisant conclure un traité de paix avec Alger, ouvrit la Méditerranée au pavillon national et provoqua la création de la première compagnie suédoise du Levant, dont il devint un des chefs, comme il l’était de la première compagnie des Indes orientales ; c’est lui qui fit acheter le territoire de Barima, au sud de l’Orénoque, dans la Guyane du nord, territoire qui appartient encore aujourd’hui à la Suède, mais sans avoir jamais servi, comme il l’espérait, à un établissement colonial. Il mourut en 1761, comblé d’honneurs et de richesse, non sans laisser à ses concitoyens quelques avis consignés dans un livre qu’il intitulait la Prospérité de la Suède, si elle le veut bien ; la Suède ou plutôt les partis qui la divisaient ne le voulurent pas, et la mort épargna au grand citoyen le chagrin de voir ruiner par les guerres civiles une grande partie des établissemens qu’il avait fondés. Sa puissante impulsion ne devait pas toutefois rester entièrement inactive, et quelques restes