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ne commença qu’après qu’il eut étudié l’Angleterre et visité avec soin la France ; il vint s’enquérir à Tours de nos fabriques de soie, et à Saint-Germain de nos fabriques de bas, dont il essaya d’engager plusieurs ouvriers. Il quittait la France en toute hâte au mois de juillet 1723, sur la nouvelle qu’on le poursuivait à l’occasion d’une telle tentative, sévèrement interdite ; mais, pendant le voyage même de Paris à la frontière, il avait remarqué les vigognes de la ménagerie de Chantilly, et résolu d’acclimater dans le Nord ces utiles animaux ; il avait vu fabriquer dans Abbéville nos plus fines draperies, et rêvé de doter sa patrie d’une semblable fabrication. De retour avec le projet arrêté de créer en Suède l’industrie du coton et de la laine, il lui fallait à toute force, en dépit des précautions égoïstes avec lesquelles chaque nation s’efforçait alors de cacher aux yeux des étrangers ses procédés industriels, se procurer au dehors des métiers, des instrumens à carder, à fouler, à peigner la laine, puis la laine elle-même, les drogues nécessaires à la teinture, les ouvriers enfin. C’était de France et de Hollande qu’il obtenait clandestinement, et au prix de véritables dangers, ce précieux butin. Il devait traverser vingt fois la mer, échapper à d’activés poursuites, soustraire à la rigueur des lois, avec les ouvriers qu’il embauchait, tout un matériel acquis à des prix exorbitans, par contrebande ; mais après toutes ces peines il rapportait dans son pays une source de richesse que les vingt années de paix intérieure dont la mort de Charles XII fut suivie allaient permettre de développer.

Dans son pays même, Alströmer eut à vaincre de nombreux obstacles. Sans entrer dans le détail de ses efforts, dont le récit serait dramatique, il suffira de dire qu’une visite du roi, en 1728, dans une bourgade voisine de Gothenbourg, transformée en moins de quatre années, marqua définitivement son triomphe. La petite ville suédoise d’Alingsos offrait alors des filatures de coton, des fabriques d’étoffes de laine, de draps, de passementerie, de rubans, des teintureries, des mégisseries : elle devait grandir rapidement ; on y comptait quatorze mille ouvriers en 1754, dix-huit mille en 1761. Afin que la Suède cessât d’être asservie à l’étranger pour la matière première, Alströmer avait acclimaté les moutons anglais, ceux d’Espagne et de Maroc, les chèvres d’Angora, encore inconnues en Europe, sauf un seul individu apporté par Tournefort à Paris. Bien plus, il avait envoyé de France, dès 1723, des plants de pommes de terre, qui avaient prospéré dans tout le territoire d’Alingsos, tandis qu’on montrait encore ce tubercule dans la plupart des jardins botaniques d’Europe comme une plante rare du Pérou. Il paraît qu’il rencontra d’abord en Suède, à l’occasion de cette dernière culture, certaines résistances analogues à celles que Linné avait déjà trouvées