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Le village du Lizard se compose de quelques maisons vagabondes, éparpillées à la surface d’un sol maigre et ingrat. Les habitans, surtout les femmes, offrent un type tout particulier. À peine a-t-on franchi la limite du Devon et s’est-on avancé sur le territoire de la Cornouaille qu’on est frappé d’un changement dans la physionomie humaine. Sur les routes, dans les auberges, dans les wagons, on rencontre chemin faisant des figures ovales aux traits allongés, des cheveux noirs, des yeux gris, des nez saillans, des bouches grandes et bien ouvertes, en un mot le type celtique. Sommes-nous encore en Angleterre ? On pourrait en douter, ne trouvant plus autour de soi les têtes rondes des Anglo-Saxons, aux joués pleines, aux cheveux et aux favoris blonds[1]. Ce changement dans les traits extérieurs marque évidemment le passage d’une race à une autre race, et pourtant la langue, l’industrie, les manières de la population, tout est ici frappé d’un cachet bien anglais. La famille celtique se présente dans le royaume-uni à trois états très distincts, qui l’éloignent plus ou moins de la société anglo-saxonne. Il y a d’abord l’Irlande, qui appartient bien à l’Angleterre, mais qui lui résiste sourdement sur le terrain des idées religieuses ; vient ensuite la principauté de Galles, qui, tout en adoptant sans arrière-pensée la religion et les lois du royaume, a néanmoins conservé sa langue. Quant à la Cornouaille, elle s’est non-seulement soumise et incorporée depuis longtemps à la nation anglaise, mais de plus elle a entièrement perdu son ancien idiome. L’histoire, qui a souvent consacré des pages émouvantes aux guerres enclavant de force les provinces dans un état, a très peu remarqué l’infiltration lente et graduelle des influences qui achèvent vraiment la conquête. La langue étant aux nations ce que le style est aux individus, l’extinction d’un idiome ne constitue pourtant point, il s’en faut de beaucoup, un fait insignifiant : c’est le signe d’une ancienne nationalité qui abdique.

La langue primitive de la Cornouaille, cornish language, était un dialecte celtique. Les habitans de cette province ont la prétention d’avoir été civilisés avant tout le reste de la Grande-Bretagne ; ils s’appuient pour cela sur divers monumens historiques. Diodore de Sicile dit que a les naturels de cette partie de la-Bretagne étaient non-seulement très hospitaliers, mais aussi très cultivés dans leurs manières à cause de leurs rapports avec les marchands étrangers. » Il fait ici allusion sans aucun doute au commerce des métaux,

  1. J’ai recueilli, en visitant le Lazard, un fait qui confirme pleinement mes premières impressions : les chapeaux d’hommes expédiés de Londres pour les habitans de la Cornouaille sont d’un modèle plus étroit que les chapeaux commandés pour les habitans du Devonshire.