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discours fait l’éloge. Après le souper, M. de Creutz lut une lettre de M. d’Angevillers où le roi de Suède est loué avec une emphase, une exagération épouvantable, et qui ne plut nullement au roi. On parla du chevalier de Boufflers, on chanta son ambassade, et puis Mme d’Aiguillon fit chanter la chanson des Philosophes… On dit des vers de Voltaire que je ne connaissais pas : je tacherai de les avoir et de vous les envoyer. On se retira à minuit ; les dames partirent les premières ; le roi alors s’approcha de moi et me dit : « Je vous prie, quand vous écrirez à Chanteloup,. de dire à, M. de Choiseul combien je lui suis attaché, et le regret infini que j’ai de ne le point voir. Dites-en autant à Mme de Choiseul ; j’aurais été charmé de la connaître. »

« Mme de Luxembourg, Mme de Lauzun et la comtesse de Boufflers souperont ce soir chez lui. Demain il soupera à Ruel : la compagnie sera Mme, d’Aiguillon et MM. de Richelieu et de Maurepas, et après-demain il aura chez lui Mmes de Brionne et d’Egmont. On dit qu’il partira lundi, mais je n’en crois rien ; plusieurs raisons peuvent l’arrêter : il attend un frère de M. de Scheffer, qui lui apporte je ne sais quoi de nécessaire, et puis j’ai dans l’idée qu’il attend encore autre chose : la nomination d’un ministre des affaires étrangères. Il croyait ces jours passés qu’il serait nommé aujourd’hui, et, sur la parole de M. de Creutz, j’avais parié un louis qu’il le serait dimanche matin. Je ne doute pas que mon pari ne soit perdu : non-seulement dimanche il ne sera pas nommé, mais peut-être d’un, deux, trois ou quatre mois. On ne doute nullement (que ce ne soit M. d’Aiguillon ; de deviner pourquoi ces délais, cela est difficile. »


On voit que Gustave III, n’oubliant pas les soins de sa politique, trouvait moyen de se ménager également l’amitié du duc de Choiseul, qui conservait un grand parti, et celle du duc d’Aiguillon, futur ministre des affaires-étrangères. Il s’acquittait en même temps de certains actes que le gouvernement suédois exigeait de lui ; le 15 mars, il dut adresser au sénat de Stockholm une déclaration ainsi conçue :


« Appelé en qualité d’héritier à la succession royale, et mes vues étant fort éloignées de tout pouvoir arbitraire, je déclaré par cet acte solennel, et sur ma parole de roi, que je suis entièrement dans le dessein de gouverner mon royaume en observant tout ce que prescrivent les lois de la Suède et particulièrement la constitution de l’année 1720, à laquelle j’ai déjà prêté serment. Je regarderai comme ennemis déclarés de ma personne et comme traîtres envers l’état ceux qui ; ouvertement ou secrètement ; et sous quelque prétexte que ce fût, chercheraient à rétablir la souveraineté. »


Voilà ce « je ne sais quoi de nécessaire » dont Mme Du Deffand avait entendu parler : Gustave n’eût pas été proclamé à Stockholm sans la prompte soumission que les états lui demandaient ; mais en même temps qu’il jurait de nouveau fidélité à la constitution de 1720, il prenait secrètement avec la cour de Versailles toutes les mesures qui permettraient de la renverser. Nous avons vu que le