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si, déçus par une mauvaise routine de langage, ils allaient transporter sur le terrain économique et social un antagonisme que notre droit politique n’admet plus. Il est faux que la société se prête à la division simple et arbitraire que quelques auteurs de systèmes se sont plu à établir entre ceux qui travaillent de leurs mains et les détenteurs des capitaux. Deux camps aussi positivement tranchés n’existent point dans la société : le capital et le travail sont partout mêlés ; le capital est la réserve des instrumens de travail et des produits à consommer, dont vit le travail lui-même. Rien de variable et de mobile d’ailleurs comme les classes de ceux qui détiennent les capitaux et de ceux qui en vivent par le travail. Avec l’épargne, qui est le produit réservé du travail, des capitaux se forment sans cesse en de nouvelles mains, tandis qu’en d’autres mains, par l’inconduite, la négligence, l’inhabileté, les erreurs commerciales, des accumulations de capitaux se dispersent et s’évanouissent. Ce n’est donc point sur une opposition normale des intérêts du capital et des intérêts du travail que des hommes intelligens et fiers peuvent fonder leur prétention à être représentés par des ouvriers dans les assemblées politiques.

Une fois ces points écartés énergiquement, il nous semble que la question des candidatures ouvrières n’a rien dont on doive s’offusquer outre mesure. Nous vivons sous le suffrage universel ; il ne nous paraît guère possible que, sous le régime du suffrage universel pratiqué librement, il ne se produise point dans de grandes agglomérations des candidatures ouvrières. Le suffrage universel, qui est notre maître, n’admet pas plus d’exclusion pour les éligibles que pour les électeurs. Le premier devoir des électeurs est de confier la députation à ceux qu’ils jugent le plus dignes et le plus capables d’en remplir les fonctions, en se plaçant au point de vue des intérêts les plus élevés et les plus généraux du pays. Une fois faite la part de l’intérêt politique et national dans le choix des candidats, il est naturel que les électeurs consultent aussi des convenances secondaires et se décident en vue d’intérêts spéciaux et locaux. Personne ne s’étonnera que certaines circonscriptions nomment des députés protectionistes, que d’autres nomment des députés partisans de la liberté commerciale. Il peut arriver ainsi que l’influence d’intérêts collectifs, mais d’une nature particulière, se fasse sentir dans une élection, soit par la façon dont les votes se grouperont, soit par le choix d’un candidat qui se recommandera par une aptitude spéciale. Qu’à la veille d’une élection générale, Une question soit agitée qui intéresse une catégorie influente ou nombreuse de citoyens, supposez que cette question soit celle de l’abolition de la vénalité des offices, on verra tous les officiers ministériels se réunir pour agir sur le corps électoral, et plusieurs même briguer la candidature pour mieux défendre leurs légitimes intérêts. Si la question à l’ordre du jour est ou une taxe sur un objet de grande consommation, ou la réglementation des heures de travail dans les ateliers, il sera fort naturel que des ouvriers se concertent pour se faire représenter par un ouvrier. Au-dessus de ces circonstances spéciales, il y a une considération