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que les séances du corps législatif sont suspendues. Tout le travail parlementaire est concentré dans le huis clos des commissions. C’est là que l’on étudie le budget, c’est là qu’on prépare l’amendement de la loi sur les coalitions, c’est là qu’on remanie encore une fois la loi des sucres. L’importance des questions ainsi élaborées est incontestable ; mais cette longue étude des commissions n’est-elle pas exagérée ? N’entraîne-t-elle pas d’inutiles pertes de temps ? n’empiète-t-elle pas un peu sur les discussions publiques, qui sont la véritable affaire et le vrai procédé d’élaboration des assemblées représentatives ?

On doit féliciter l’honorable ministre de l’intérieur, M. Boudet, de n’avoir point attendu l’expiration du délai légal pour convoquer les électeurs de Paris appelés à remplir les deux sièges laissés vacans par les doubles élections. La perspective des nouvelles élections parisiennes a provoqué de la part d’un certain nombre d’ouvriers une manifestation qui est à cette heure vivement discutée par la presse quotidienne. Cette manifestation a été la publication d’un programme où l’on réclame les candidatures ouvrières. Il y a dans ce programme deux choses à distinguer : on y voit les traces de doctrines économiques et sociales erronées, de doctrines qui tendent à partager la société en deux camps antagonistes, le travail et le capital ; on y remarque aussi le désir d’une portion considérable de la population qui voudrait participer, par quelques-uns de ses membres, à la tâche et à l’honneur de la représentation nationale. Il importe, à notre avis, de ne point perdre de vue cette distinction, si l’on veut apprécier avec équité et sans préjugé la réclamation qui vient de se produire. Dans l’examen de cette question délicate, ce qu’il faut en effet s’efforcer d’éviter avant tout, c’est d’aigrir et d’irriter toute une catégorie intéressante de citoyens laborieux en condamnant des prétentions politiques qui pourraient être justes sous le prétexte qu’elles se produisent avec un bagage d’opinions économiques dangereuses et fausses.

Il faut être franc et net envers les rédacteurs du programme des candidatures ouvrières. S’ils considèrent les ouvriers comme une classe au sein de la nation, ayant des intérêts distincts de classe opposés à ceux d’autres catégories de citoyens, ils commettent une grave erreur, et ils entrent sans s’en douter dans une voie rétrograde. La fortune et l’honneur de la démocratie française sont d’avoir fait disparaître dans notre pays les odieuses et blessantes distinctions de classes ; ceux qui voudraient faire revivre ces distinctions au nom même de la démocratie commettraient le contre-sens le plus monstrueux et le plus déplorable. En invoquant pour eux-mêmes des préjugés qui n’ont rien dont leur dignité bien entendue se puisse honorer, ils iraient réveiller ailleurs des préjugés, heureusement détruits, dont ils auraient à souffrir les premiers. Ils déferaient de leurs propres mains l’œuvre de la révolution française. Ils travailleraient à troubler cette condition fondamentale de notre paix publique qui repose dans le sentiment universel de l’égalité. Leur faute ne serait pas moins funeste,