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rer sur l’avenir et effacer le passé. — Je vous crois, dis-je en lui tendant la main.

Le soir même, il demanda officiellement Louise en mariage.

III.

Je ne m’appesantirai pas sur les jours qui suivirent. Les préparatifs du trousseau, le choix de la corbeille, dont je fus chargée, me fournirent de continuels prétextes pour m’absenter sans affectation et laisser souvent les deux jeunes gens seuls. Je présidai moi-même à l’installation de leur appartement, et je surveillai tous les détails avec la sollicitude d’une mère. Grâce à la générosité de mon oncle, je leur préparai un nid d’une merveilleuse élégance ; rien ne me semblait assez beau, assez parfait de formes, assez harmonieux de couleur.

Plus d’une fois pourtant, alors que les ouvriers s’agitaient autour de moi, attendant et exécutant mes ordres, je sentis des larmes monter tout à coup à mes yeux. Plus d’une fois aussi, quand, fatiguée de la journée, j’allais me reposer près de Louise et de Robert, j’éprouvai un douloureux serrement de cœur en les surprenant doucement inclinés l’un vers l’autre et causant à demi-voix. Cependant Robert n’affectait point près d’elle une passion qu’il ne ressentait sans doute pas encore ; mais il lui témoignait une tendresse attentive et indulgente. Louise en était heureuse, ignorant dans sa candeur que l’amour pût avoir d’autres regards et parler un autre langage. Moi, je mettais tous mes soins à réprimer certains retours de faiblesse qui surprenaient parfois mon courage ; j’aurais voulu me les cacher à moi-même. Entre Robert et moi, tout était oublié ; nos rapports furent ce qu’ils devaient être, affectueux et simples.

Le mariage était fixé au 20 juillet. Je l’appelais de tous mes vœux, espérant retrouver le calme dans le sentiment de l’irréparable. Ce jour arriva enfin. J’habillai Louise moi-même, je la parai des flots de dentelles de sa robe de mariée, et je posai sur sa tête sa couronne blanche. Je ne l’avais jamais vue si belle.

On partit pour l’église. Je n’essaierai pas de raconter ce que je souffris pendant cette cérémonie religieuse. Ces douleurs-là passent la parole humaine. L’espèce d’enthousiasme qui m’avait soutenue jusqu’alors tomba tout à coup, et je me trouvai brusquement en face d’une réalité effroyable. Robert était là, devant moi ; je l’aimais, et il était perdu pour moi. Son calme, son front impassible et hautain m’irritaient ; j’aurais voulu surprendre au moins quelque trace de doute, quelque ombre de regret. J’en voulais à Louise de n’avoir pas su deviner ce que je faisais pour elle ; j’accusais le monde entier. Je me disais que le ciel ne permettrait pas qu’un tel mariage