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grecs de 1843 surent ne pas abuser de leur triomphe, et n’adoptèrent aucune de ces dispositions ultra-révolutionnaires.. Aussi y eut-il un sentiment unanime d’enthousiasme et d’espérance pour saluer la promulgation de la charte constitutionnelle. Tout souriait alors à la Grèce : les puissances de l’Europe lui donnaient un appui sympathique et s’exagéraient même ce qu’elle était capable de faire ; la nation et le roi, réconciliés, après une crise heureusement traversée, semblaient devoir marcher désormais dans un complet accord ; le pays, justement fier de sa conduite, avait foi en lui-même : toutes ses aspirations d’avenir s’étaient réveillées ; il se sentait digne de la liberté qu’il avait conquise et capable de la supporter ; il saluait dans l’établissement de cette liberté l’aurore d’une ère d’agrandissement et de prospérité. L’état hellénique eut alors une de ces heures brillantes et sans nuages qui ne se rencontrent que rarement dans la vie des peuples.

Mais les espérances de 1843 devaient être déçues. Le gouvernement constitutionnel ne s’est pas encore réellement naturalisé en Grèce ; après vingt ans d’une marche troublée et imparfaite, il s’est écroulé dans une catastrophe qui a mis le pays au bord de l’abîme. Le soulèvement du 22 octobre 1862 a révélé les plaies d’un état politique bien inférieur à celui qui s’était manifesté après le 3 septembre 1843. Au lieu d’un mouvement légal, on a vu se produire une révolution ; l’ordre qui avait été conservé alors a fait place à l’anarchie ; l’armée, demeurée intacte après le mouvement constitutionnel, est tombée en dissolution ; l’administration s’est désorganisée, les questions de personnes se sont substituées aux questions de principes. Où la différence des deux époques est la plus frappante, c’est dans la comparaison de la constituante actuelle avec celle de 1843 ; les vices et les fautes dont l’assemblée d’il y a vingt ans avait su se préserver ont formé les caractères les plus saillans de la conduite de celle qui cherche maintenant à s’éterniser, bien que son mandat soit expiré depuis l’installation du nouveau roi. Les nobles débats de la première constituante ne se sont pas renouvelés ; on n’a pour ainsi dire assisté qu’à des scènes de déplorable tumulte, dégénérant plus d’une fois en pugilat ; les anarchistes sont en majorité parmi les représentans, chez qui le patriotisme semble éteint par l’avidité la plus vulgaire. C’est avec raison que le sentiment public proteste contre les actes et l’esprit d’une assemblée de cette nature, qui n’est qu’une fausse représentation du pays, et nous doutons qu’aucun des membres qui la composent puisse ouvrir sans confusion le recueil des procès-verbaux de la constituante de 1843. Pour conserver la conviction que la race grecque est apte à la liberté, il faut depuis un an détourner