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les yeux d’Athènes pour les reporter sur les Iles-Ioniennes ; mais dans le royaume hellénique on ne saurait se dissimuler l’infériorité politique de la génération élevée sous la royauté, si on la compare à celle qui s’était formée dans les souffrances de la tyrannie étrangère et les épreuves de la guerre de l’indépendance. Sur ce point, il y a eu décadence, tandis qu’il y avait progrès dans l’ordre matériel et dans l’ordre intellectuel. Quelle peut être la cause d’un semblable contraste ? D’où vient l’échec si complet de l’expérience du régime constitutionnel tentée de 1843 à 1862 et terminée par la catastrophe du 23 octobre ? Les intrigues étrangères y ont eu sans doute une part considérable ; cependant elles ne suffisent pas pour l’expliquer : il faut qu’il y ait eu des causes intérieures dont la responsabilité, comme il arrive toujours, doit peser en partie sur la royauté et en partie sur le pays, du moins sur ses hommes politiques.

Le roi Othon était un prince honnête, qui aimait la Grèce, qui voulait le bien de son pays d’adoption, qui agissait consciencieusement dans ce qu’il croyait son devoir et son droit ; mais il suivait un système funeste qu’il n’avait pas créé, qu’il avait reçu tout organisé de la régence, et il n’avait pas assez de fermeté pour rompre avec les traditions de ce système. Élevé dans un pays où le régime de la liberté politique n’était pas encore en vigueur, formé à gouverner sans contrôle et sans constitution d’après le mode absolutiste des administrations d’Armansberg et de Ruydhart, il n’avait jamais, quoiqu’il en eût la bonne volonté, pu comprendre le rôle véritable et les obligations d’un roi constitutionnel. Il se méprenait sur la nature et l’étendue de sa prérogative royale à tel point qu’il croyait y trouver le droit de prendre et de laisser ce qu’il voulait dans la charte jurée par lui, laquelle ne contenait cependant pas d’article 14. Resté Allemand en dépit de tous ses efforts pour devenir Grec, et bien qu’en 1854 il eût un moment donné des gages de son désir de s’associer aux aspirations nationales, depuis le jour de son avènement jusqu’à celui de sa chute, il n’avait pas réussi à sortir de la situation d’un prince étranger superposé à la nation hellénique sans s’être fondu dans ses rangs.

La justice oblige de reconnaître qu’en appelant le prince Othon de Bavière au trône de Grèce, l’Europe lui avait créé de sérieuses difficultés. En se décidant à constituer chez les Hellènes un royaume indépendant, une partie au moins des puissances qui siégèrent aux conférences de Londres semble avoir cherché à placer ce royaume dans des conditions où il ne fût pas viable. On a forcé la Grèce à restituer aux Turcs des contrées qui s’étaient affranchies du joug musulman ; on n’assignait qu’un million de citoyens au royaume grec, avec un territoire dont la moitié n’est pas susceptible de culture,