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son air honnête et délibéré, tout excita l’attention ; elle fut présentée au lord-maire de Londres. Un artiste demanda la permission de faire son portrait : la femme de pêcheur refusa d’abord ; mais, l’artiste ayant ajouté qu’il était lui-même un enfant de la Cornouaille, « je n’ai rien à refuser, dit-elle d’un ton vif et enjoué, aux amis de ce beau pays-là ! » Après la mort de la reine des poissonnières, l’ancien costume fut tout à fait abandonné ; mais les femmes de Newlyn présentent encore aujourd’hui un type peu commun de vigueur, de courage et d’activité.

Une partie de la récolte du pilchard est vendue comme poisson frais dans la Cornouaille. Sa chair est huileuse et d’un haut goût ; mêlée à des pommes de terre et assaisonnée d’un peu de sel et de vinaigre, elle relève la nourriture habituelle des campagnes. Le pilchard se voit très rarement sur les marchés de Londres. Somme toute, ce poisson de l’Océan est beaucoup moins connu en Angleterre que l’anchois ; il est vrai qu’en revanche l’anchois est moins connu sur les bords de la Méditerranée que le pilchard. Les deux mers échangent leurs produits. Étant surtout une marchandise d’exportation, le pilchard doit tout naturellement subir un travail préparatoire avant de quitter les côtes de la Grande-Bretagne. Le curage, curing, est généralement confié à la main des femmes. C’est une tâche importante et qui se poursuit quelquefois jour et nuit. Le poisson débarqué sur le rivage est aussitôt transporté sur des brouettes appelées gurries ou dans des corbeilles vers le fish-cellar. Ce cellier, ordinairement de plain-pied avec la rue, est une construction grossière en forme de hangar et abritée par un toit de poutres massives appuyées sur des murs de pierres mal jointes ou sur de rudes piliers de granit. L’aire, sorte de mosaïque formée avec les cailloux de la mer incrustés en autant d’ovales noirs et luisans, a été balayée avec grand soin et recouverte d’une couche de gros sel qui s’étend à cinq ou six pieds du mur d’appui. Sur ce lit de sel, on couche plusieurs rangées de pilchards, la queue tournée du côté de la muraille, et se suivant les unes les autres à fleur de terre avec un ordre si admirable que le sol est, comme on dit, pavé de poissons. C’est le fondement de l’édifice, qui varie beaucoup selon le goût de l’architecte ou selon la disposition des lieux. Le plus souvent les pilchards ainsi empilés s’élèvent en une muraille longue et massive ; d’autres fois ils s’arrondissent en demi-cercles ou en colonnes présentant toujours leur tête à la surface extérieure des diverses constructions. Ils restent ainsi en tas, in bulk, durant quatre ou cinq semaines, recouverts de couche en couche par un lit de sel et soumis à une forte pression. Le pavé du cellier s’incline en pente douce à partir du mur vers le centre ; cette disposition est essentielle :