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montagnes, ces froids et pierreux plateaux, ne donnent qu’à grand’peine, à ceux qui n’y épargnent pas leur sueur, une maigre et insuffisante nourriture. Autrefois les Sfakiotes ajoutaient au chétif produit de leurs terres ce que leur pillage leur donnait de butin dans une société sans cesse troublée par des guerres publiques ou privées. Aujourd’hui qu’il règne dans l’île de Crète quelque chose qui ressemble à de l’ordre, les Sfakiotes ne pourraient plus, sans danger pour eux-mêmes, compter sur ce genre de revenus. Aussi beaucoup d’entre eux achètent-ils des terres à blé et des oliviers à Selino, à Kissamo, Apocorona ou Mylopotamo, et finissent-ils par s’établir à demeure dans les plaines et sur les rivages, ne remontant plus, même l’été, dans leurs montagnes natales. C’est ainsi que beaucoup de maisons restent fermées dans les villages d’Askyfo, d’Haghia-Roumeli et d’Anopolis ; Sfakia est certainement moins peuplé qu’avant la guerre de l’indépendance, et ne pourrait, en cas d’insurrection, envoyer au combat autant de fusils qu’autrefois.

En revanche, dans tout le reste de l’île, la population chrétienne grandit sensiblement, en nombre aussi bien qu’en richesse. En 1834, M. Pashley croyait trouver en Crète 129,000 âmes, dont 40,000 musulmans ; en 1847, un des hommes qui ont le mieux étudié l’état actuel de la Crète, M. Hitier, alors consul de France à Khania, évaluait la population à 160,000 âmes, sur lesquelles il ne comptait encore que 40,000 musulmans. L’augmentation, on le voit, ne se serait produite qu’au profit des chrétiens. À la suite d’un recensement commencé en 1857 par les ordres de Véli-Pacha, on a publié les résultats partiel obtenus pour la province de Khania[1]. En prenant ces chiffres pour exacts et en admettant que dans les autres provinces l’accroissement de la population ait eu lieu dans la même proportion, on obtient pour toute la Crète, dix ans après l’évaluation approximative de M. Hitier, une population totale de 172,000 âmes. Si maintenant on suppose, dans les autres provinces de l’île, la même différence numérique relative entre les Turcs et les Grecs, il y aurait eu, en 1858, 123,000 chrétiens contre 49,000 musulmans. Ainsi en vingt-trois années la population grecque soumise serait arrivée de 90,000 à 123,000 âmes ; elle aurait donc augmenté de plus d’un tiers, tandis que les musulmans, qui de nom du moins sont encore les maîtres, n’ont pas augmenté seulement d’un quart, de 40,000 à 49,000[2].

  1. La Vérité sur les événemens de Candie, Paris, 1858. Cette brochure, sans nom d’auteur, a été rédigée par un ami, par un ancien secrétaire de Véli-Pacha.
  2. J’emprunte ces chiffres et les résultats que j’en tire à l’ouvrage de M. V. Raulin, savant français qui explora l’île de Crète en 1845, sous les auspices du Muséum d’histoire naturelle. Il a publié en 1858 une Description physique de Vile de Crète (Bordeaux, in-8o, 292 pages), qui contient beaucoup de faits intéressans, même pour les personnes étrangères aux sciences proprement dites.