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c’est le sentiment intime dont chacun est pénétré que la nuit où nous nous sommes silencieusement endormis touche à sa fin. Les yeux se sont ouverts ; on se remet sur son séant, on parle, on écoute les voix, les bruits ; on se cherche les uns et les autres comme à tâtons. Le fait important et salutaire dans le vague de ces premiers momens, c’est que l’on se sent très positivement éveillé. La diane de cette aube morale et politique a été sonnée par les dernières élections générales. Un long frémissement a depuis lors parcouru la France : la plupart des réélections ont eu lieu au profit du libéralisme. À côté de la politique, mais dans une sphère qui en est bien voisine, celle des idées religieuses, des publications hardies ont imprimé aux croyances de fortes secousses et ont provoqué de vives agitations. Puis, car il ne faut négliger aucun indice, l’impatient besoin de vie intellectuelle dont le public est possédé s’est manifesté tout à coup par ces lectures, par ces leçons du soir, qui en un clin d’œil sont devenues la mode passionnée de Paris. L’esprit souffle où il veut, disait-on autrefois ; aujourd’hui il souffle où il peut. À la façon dont il s’échappe par les fissures qui viennent de lui être ouvertes, sur l’histoire, sur les sciences, sur la critique littéraire, dans ces réunions nombreuses où la parole vivante se met en contact avec les âmes, on peut espérer que nous ne sommes plus loin du moment où il pourra souffler enfin comme il voudra. La vue de ces choses, ces premiers fourmillemens et bruissemens de la vie ont de quoi plaire à ceux qui n’ont point fermé l’œil durant l’épreuve, et qui ont fait consciencieusement leur métier de veilleurs nocturnes, comme ces serenos que l’on rencontre encore dans les villes d’Espagne, chantant les heures dans le silence de la nuit et balançant mélancoliquement dans les ténèbres des rues étroites leur lanterne au bout d’un bâton.

Nous retrouvons dans les faits dont nous avons à nous occuper aujourd’hui ces divers aspects du mouvement intellectuel et politique de la France. Ce sont d’abord les deux élections de Paris qui doivent avoir lieu le 20 mars et qui sont depuis quinze jours l’occasion d’un mouvement politique très original. Le gouvernement a eu le bon esprit, en cette circonstance, de ne point mettre en avant de candidats officiels ; nous voudrions qu’il nous fût permis de voir dans cette abstention du gouvernement l’inauguration d’un principe général de conduite et une renonciation au système des candidatures officielles. Il ne nous est malheureusement pas possible de pousser si loin la candeur de nos espérances. Il est probable que la certitude seule du triomphe de l’opposition a empêché l’administration de mettre des candidats officiels en avant dans les première et cinquième circonscriptions de Paris. La conduite du gouvernement en cette circonstance a tracé celle des organes de l’opposition. Aucun comité d’opposition ne s’est formé pour guider le choix des électeurs et rallier leurs voix autour de candidats désignés d’avance. De là le curieux caractère des élections auxquelles nous allons assister. Pour fonctionner avec liberté et assurance, le suffrage universel a besoin d’un mécanisme assez compliqué.